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Les cadres avec nous.

Certains cadres supérieurs, même s’ils sont été nourris dans le sérail, ne vouent pas une reconnaissance éternelle à leur patron. Il y en a même qui se posent des questions quant à la disproportion des revenus. Ils avouent même être scandalisés par certaines stock-options qui sont de véritables atteintes à leur dignité.
Il revient parfois aux oreilles du grand public que la maîtrise n’est plus tout à fait comme le cliché longtemps répandu, qu’un cadre, c’est quelqu’un qui arrive avant tout le monde pour repartir souvent à la soirée et qui, quoi qu’il arrive, est un inconditionnel du patron.
Il y a même aujourd’hui des cadres subversifs qui pensent que leur seule présence suffit amplement à honorer leur contrat en fonction de ce qu’ils gagnent par rapport à ce que l’entreprise verse généreusement au patron, quand ce n’est pas à toute la famille dans des emplois bidons..
Mais ils y vont prudemment, de par le porte-à-faux dans lequel ils vivent sans couverture syndicale et sans garantie quant à la confiance que leur employeur témoigne vis-à-vis d’eux.
Scott Adam dans son curieux manuel « Le principe de Dilbert » leur donne quelques conseils, qu’intuitivement beaucoup de cadres ont déjà mis en pratique.
«Ne sortez jamais dans le couloir sans un dossier sous le bras. Les employés qui ont les bras chargés de dossiers ont l’air de se rendre à d’importantes réunions. Ceux qui n’ont rien dans les mains ont l’air de se rendre à la cafétéria. Ceux qui passent avec le journal sous le bras ont l’air de se rendre aux toilettes. Surtout n’oubliez jamais d’emporter du travail « urgent » à la maison le soir, vous donnerez ainsi la fausse impression que vous faites des heures supplémentaires ».
Ceux qui le peuvent fréquentent les salles de réunion, les briefings, tout est bon à prendre, à partir du moment où l’on peut s’asseoir et paraître écouter ce dont on se fout, avec toute l’attention requise. Il est conseillé de ramasser toute la documentation possible, à seule fin de la répercuter dans les services, en n’y appliquant jamais aucune note, ni aucune réflexion personnelle. Ainsi, vous n’y aurez rien ajouté qui fût de vous, toute valeur ajoutée étant un travail et une responsabilité.

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Après les heures normales de bureau, le cadre qui reste vissé ostensiblement à son bureau au milieu de ses classeurs, est un champion du courriel perso. La photocopieuse roule essentiellement à son compte et si l’écran diffuse en permanence les cours de Wall Street, il lui suffit de presser un bouton pour regarder en paix un match de foot.
Pour la survie, une seule contrainte, paraître disponible au patron qui passe dans le couloir.
Cette technique des cadres supérieurs qui ne veulent plus en faire une secousse est extensible à tous les échelons. C’est celle universelle de cireur de pompes sans un réel enthousiasme. Elle reste valable de l’ouvrier au cadre supérieur sans la moindre modification.
Se hisser à la force du poignet au grade supérieur, s’est même répandu partout. Le placement de sa famille par l’adhésion à un parti ou par une bassesse chez un cadre de l’administration, procède de la même démarche. Le PS en a fait une sorte de spécialité.
Généralement l’effondrement des valeurs morales n’arrive que lorsque vous êtes à bout du gommage des injustices que vous découvrez tous le jours. Suit alors un raisonnement qui fait appel au cynisme qui monte en vous. Les facteurs déterminents sont alimentés par un ennui profond dès le franchissement du seuil de l’entreprise.
Mais comme l’écrivit Jules Renard, c’est un ennui supérieur. Si vous en imputez la chose à votre employeur et que vous la lui faites payer, l’ennui vous paraîtra moins lourd.
Puisque vous ne serez jamais l’homme providentiel, et qu’il est exclu que vous puissiez rouler des mécaniques devant les caméras de la télévision comme l’artisan du succès de l’affaire, la prétention qu’a l’entreprise de vous conserver exclusivement à sa cause devient une atteinte odieuse à votre personne. Votre seul moyen de défense reste le parasitisme discret, le faux empressement et une apparente compétence. Vous aurez des chances qu’en haut lieu, ils ne s’apercevront pas de sitôt que vous êtes le grain de sable qui grippera leur pompe à fric.
Vous serez l’ennemi intérieur qui n’aura de cesse d’obtenir de royaux dédommagements dès la faillite de l’entreprise à laquelle vous aurez royalement contribué.
Ainsi, vous serez un homme libre et vous aurez échappé à la loi imbécile de l’utilité, vous aurez contourné l’incontournable et fait un bras d’honneur à cette engeance vomie de businessmans agressifs qui font tant de tort à la planète et aux citoyens : les patrons !
Loin d’avoir des remords, vous vous direz que vous êtes un écologiste, un anti-béhavioriste et qu’en somme vous avez hissé l’art de ne rien faire au rang des beaux-arts.
Si je vous ai convaincu, commencez demain votre travail de sape. Vous verrez qu’immédiatement vous aurez une meilleure opinion de vous-même et que le travail au bureau vous paraîtra moins lourd.

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