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Lisez Balzac.

Si par extraordinaire Balzac pouvait sauter près de deux siècles et confronter sa comédie humaine à la nôtre, il serait bien surpris par certaines similitudes dissimulées sous un pseudo modernisme qui cache des vérités intemporelles qui n’apparaissent pas très clairement aux pauvres contemporains que nous sommes. En un mot, nous manquons de recul.
Par exemple en ce qui concerne les rapports des gens avec la banque et l’usure.
Alors, on ne trouvait pas de vertu à l’argent. La lucidité interdisait d’inverser l’ordre des choses et de faire d’un vol, une valeur morale.
Certes le discours donnait à l’argent une place, hélas ! indispensable aux rapports humains ; mais le discours ne portait pas à l’admiration de ce qui fait aujourd’hui la fierté des Américains et des Européens : la société anonyme.
Du temps de Balzac, même les apparatchiks avaient lu Rousseau. De nos jours, les hauts fonctionnaires européens ne jurent que par Rawls, Dworkin, Nozick… qu’ils lisent en anglais, la langue du commerce et des lois de l’économie, par excellence.
Quoique dure, la mi-XIXme avait au moins le mérite de susciter des espoirs, certes souvent déçus mais jamais abandonnés, d’une autre manière de vivre ensemble. Les discours des hommes politiques étaient plus tranchés, inconciliables le plus souvent, mais ils traduisaient la juste conviction de camps opposés.
Alors, l’égoïsme bourgeois était éclatant. Aujourd’hui l’est-il moins ? Il est partiellement masqué par les redistributions légales aux plus démunis. C’est un « progrès » calculé sur le « juste ce qu’il faut » afin que les crève-la-faim ne descendent pas dans la rue. Ce n’est pas de la grandeur de cœur, c’est de la prudence.
L’attitude libérale d’une opinion réclamant moins d’indemnités, moins de secours, afin que « le fainéant se décide à gagner son pain » avec les moyens du bord, copié sur l’idéal de « la libre » Amérique des ultra-libéraux conservateurs du genre Nozick (1938-2002), est, pour le citoyen « modéré », le modèle d’un Etat minimum, modèle choisi aussi par le parlement européen.
C’est une situation dont Balzac aurait bien ri, attendu que la société de 1830 était exactement celle-là.
Vu l’état lamentable dans lequel se traîne plus du quart de la population américaine qui vit sous ce principe depuis toujours, on se demande si cet idéal libéral n’est pas l’erreur fatale qui conduira un jour la société capitaliste dans les oubliettes de l’Histoire à côté des marxistes-léninistes du petit père des peuples ?
Pour Balzac les mondes de la banque et de l’usure se confondent, comme aujourd’hui se confondent le libéralisme à l’américaine avec le « libéralisme social » de Didier Reynders. Comme si les efforts pour faire passer l’égoïsme libéral en couche-culotte pour enfants abandonnés ne se dénonçaient pas par eux-mêmes ! Qu’est-ce qui différencie un maffieux d’un affairiste ? L’épaisseur d’une loi, mais basée sur quelle morale ? L’argent sale mêlé à l’argent propre, donne un argent gris accepté par tout le monde.
Balzac place les maniaques du profit en trois catégories.
Dans la première, tous les rats qui sont sortis de l’égout initial, la Maison Nucingen, les Keller, les Mongenot, les du Tillet, dans l’usure intermédiaire, les Gigonnet, les Gobseck et enfin, toujours grouillante dans la vase et les déjections, les Samanon, les Chaboisseau, les Barbet. Hors concours, il place un roi de l’usure, une sorte d’étrangleur financier hors pair, Cérizet.

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Notre collection d’affreux n’est comparable qu’en cherchant bien derrière le décor publicitaire. Toute l’adresse des entrepreneurs du temps présent est dans le camouflage. Aujourd’hui la crapule se dissimule sous le bon sentiment, l’escroquerie, sous l’appât avantageux. Est-ce à dire qu’ils sont moins méprisables ? Non, non… ils le sont davantage tant ils apparaissent sous des dehors qui ne correspondent pas à leur vraie nature. Les financiers de Balzac avaient au moins la franchise de s’afficher tels quels.
Voilà le baron de Nucingen que Balzac fait banquier comme d’autres sont cloportes, par nature, sans autre mobile que l’amour des coffres-forts garnis. Dans « Splendeur et Misères des courtisanes » (un chef-d’œuvre), il s’éprend d’Esther. C’est la seule fois qu’il perdra la tête pour un être humain. Sorti des affaires, ce n’est plus d’ailleurs qu’un citoyen des plus ordinaires.
Le financier du Tillet ne dépare pas le monde balzacien. Enfant trouvé, élevé par un ecclésiastique. Il débarque à Paris et débute chez Birotteau (César Birotteau parfumeur, autre chef-d’œuvre, vite lu parce que court). C’est le voleur heureux, parce qu’il ne se fait jamais prendre. Il vole la femme de son patron, son patron, tout le monde. Pourtant, à force, Birotteau le prend une seule fois la main dans le sac. Il lui pardonne. C’est ce que du Tillet ne lui pardonnera jamais. Avec les économies de Madame Roguin, il fonde une banque. Il mettra son ancien patron à la rue. 1830 fait de lui un député du centre gauche, parti mou, aux courtes ambitions, que Balzac a toujours détesté. (Cherchez la réplique en 2007 ?)
Chez l’écrivain, les banquiers honnêtes meurent ruinés, je pense au baron d’Aldrigger.
Plus bas que du Tillet, barbotent dans la bassesse, les escompteurs, les usuriers, les spéculateurs.
Beaucoup d’entre eux sont de petits vieux, d’allure modeste, l’œil éteint. Le soir, ils se retrouvent au café Thémis, ils y fréquentent les libertins et les gens des plus fantasques, dans l’espoir de sortir de leur énorme indifférence, sans y parvenir, tant ils sont blasés à force de posséder.
Enfin, le sommet de la crapule, c’est Cérizet, l’usurier des pauvres, que l’on pourrait comparer à nos actuels propriétaires de taudis. Dans son antre, il écoute les « gémissements de ses clients ». Il aime humilier les gens déjà à genoux. C’est un personnage que Félicien Marceau dans « Balzac et son monde » compare à Peachum de l’Opéra de quat’sous.
Mais lisez donc Balzac, c’est moins indigeste que « Le capital », cela ouvre les yeux autant et c’est surtout plus accessible.

Commentaires

Marx se délectait en le lisant ! Ca doit être une des sources les plus décisives de la pensée de Marx !

Pas tellement d'accord de mettre Rawls et Dworkin dans le même sac pourri que celui de Nozick !

C'est comme si je mettais Mill dans le même sac que Herbert Spencer !

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