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Le n’importe qui du n’importe quoi !

Andy Warhol ne s’est pas fait que tirer dessus par Valérie-Jean Solanas le 3 juin 1968 pour une pièce de théâtre que la dame lui confie « Up your Ass » littéralement « dans ton cul ».
Il aurait omis de la lui rendre.
Comme tout bon créateur, il a pas mal créé et recréé et il est du domaine du possible qu’il ait assimilé à son œuvre personnelle « Up your Ass », dans l’entraînement d’une habitude répandue des bons auteurs d’annexer des autres ce qui n’est pas mal foutu.
Quoique fin connaisseur dans le rendement maximum de la savonnette, quand il s’agissait de se faire mousser, Andy Warhol a, tout de même, proféré en public, pas mal de sottises.
Ne disait-il pas, juste avant la rencontre des balles argentées de l’auteure du manifeste SCUM - Society for Cutting Up Men (1) (Société pour mettre les hommes en pièces), que désormais n’importe qui pouvait avoir son quart d’heure de célébrité !
A part le sien qui durera trente années, il fallait entendre par « n’importe qui », une personne prise dans la foule au hasard et hissée au rang de célébrité par la volonté d’une marque de couche-culotte ou d’un chasseur de têtes de la télévision, plutôt qu’un « n’importe qui » appliqué aux sept milliards d’humains, afin que vous et moi soyons au même titre qu’Andy Warhol, ne fût-ce que ce quart d’heure inoubliable, touchés par la célébrité dans notre moi le plus intime.

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Ingela Olsson - Valerie Jean Solanas. Foto/Ill: Roger Stenberg

Il est vrai que la Société, quoique officiellement dévote et civique dans les statistiques, ne croit plus aux saints, ni aux héros de la patrie et encore moins aux génies.
La geste de l’homme supérieur selon laquelle la réalité rejoint le merveilleux et égale les dieux n’a plus été perçue dès que se refermèrent les derniers romans de chevalerie. Désormais, la démocratie est toute dévolue à l’homme quelconque.
La célébrité succède à la renommée.
Elle peut couronner n’importe quel imbécile.
Le statut de la star s’est éteint avec Cinéma paradisio.
Les stars semblaient appartenir à un autre univers. Greta Carbo ne traînait pas dans les bars et Rita Hayworth ne faisait des pipes qu’à des Khans. Ce furent nos dernières Vénus, bien après celle des Offices.
La star ayant disparu, il fallait bien combler le vide.
On ne peut pas laisser autant d’âmes en attente d’être vedettisées, sans hisser aux tréteaux d’aimables chanteuses et des histrions jacassants, histoire d’amuser la galerie, de combler les gens simples que nous sommes devenus, comme la preuve que Warhol de tout son pop’art avait prédit.
Mais cette distinction du « n’importe qui », glissant de quelques-uns pris au hasard du nombre, a cédé la place au « n’importe quoi ».
La célébrité évolue au point de courir les rues, donnant ainsi l’illusion que tout le monde est créateur.
L’ennui, c’est que si tout le monde crée, plus personne ne regarde et n’entend. Et voilà que le visiteur ne visite plus, que le chanteur braille dans la solitude de la Star Ac et que le lecteur ne lit plus, comme le peintre du dimanche ne s’intéresse plus à la peinture !
La distinction entre « n’importe qui » et « n’importe quoi » n’est déjà plus perceptible.
Demain, nous serons tous des célébrités !
Ayant atteint le point zéro, nous serons donc des médiocres célèbres. Nous avons tant d’exemples devant nous d’une médiocrité grandissante et qui ne demande qu’à se confirmer sur les télévisions du monde, dans les journaux et dans les galeries !
Andy Warhol n’attend que nous, nous ne saurions le décevoir, d’autant que là où il est, il n’a plus rien à nous piquer.

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1. American radical feminist, founder of SCUM (the Society for Cutting Up Men) and author of the Scum Manifesto.
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