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Métonymie de l’homme public.

C’est un bien dur métier que celui de faire de la politique et d’en vivre.
Il faut faire abstraction des doutes, remplacer l’humilité feinte devant des arguments de l’adversaire par une réplique assurée et évidente, même si le raisonnement de contre-feux est faux, paraître posséder des sciences qui vous sont inconnues, incompréhensibles, afin de montrer que l’on a connaissance de tout, c’est un exercice difficile.
Il faut dissimuler sa mélancolie, parfois un état dépressif, en même temps il faut taire une éventuelle admiration de l’adversaire.
Lors des face à face à la télévision, le plus intéressant n’est pas celui qui parle, mais celui qui se tait en attendant son tour. Le visage marque la surprise, l’incrédulité ou l’indignation, en même temps qu’il convient de ne pas se départir d’un sourire, même narquois, qui doit montrer la supériorité de qui se tait, sur qui discoure.
C’est-à-dire qu’il faut afficher une aisance qui n’est pas naturelle, sans paraître forcer sur l’image lisse et confiante que l’on donne à voir et qui fait les bons scores.
L’image, en somme, du représentant de commerce dynamique et sympa qui vend du bon matériel.
Quand le politicien est un homme sincère, et de surcroît intelligent – ce qui arrive parfois - il doit être saisi à certains moments, d’un souci métaphysique supérieur… d’un vague sentiment de dégoût à se représenter aux tribunes, discoureur flamboyant, ou surpris au premier rang des meetings, d’être intéressé des propos d’un histrion entendu cent fois.
Ce sont de bien sales moments à revoir, lorsque débarrassé des cuirasses de contingence, nu de toute nécessité, l’âme en vacuité, l’esprit moins en alerte que lors des parties de fleuret et des ordalies du dieu télévisuel, l’homme public est en état d’aporie, hors de toute illusion sur le sens de sa vie.
Il se voudrait un tigre, peut-être est-il le premier croyant de sa propre messe ? Quand devient-il Roquentin, triste héros de la Nausée de J.-P. Sartre ?
Notre existence se joue dans un présent dont les raisons nous échappent, sans passé et sans avenir défini, puisque l’avenir n’est fait que du présent qui avance inexorablement jusqu’à l’extinction de la vie. Les buts que nous imaginons être les nôtres se diluent dans le grotesque mélange du vague à l’âme. Nous serions à nos yeux brusquement sans valeur, si nous ne nous soutenions par une multitude de petites passions, de tics, de manie qui masquent l’absurdité de tout, même celui de l’amour du bien public !
Quand on a fait comme les Reynders et les Di Rupo, les Milquet et autres des carrières de vingt, trente ou quarante années, il arrive bien un moment où se perdent les illusions strictement humaines.

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En dehors des foules, l’élu aime, boit, dort, est trompé ou il trompe. Il a des amis, des envies, des relations sexuelles, des doutes des angoisses, des ambitions autres que politiques. Ses qualités et ses défauts ne le distinguent en rien des hommes, tous faits de la sorte.
Il est un masque parmi les masques d’un James Ensor, sacrifiant au rituel, aux fraternités humaines, à l’élévation de l’âme, en même temps que ses valeurs s’effondrent et tournent à la mascarade, dans un bal éternel où sautent et dansent la foule sans raisons, tel un état de folie perpétuelle, au point qu’il ne se reconnait plus au milieu d’elle gesticulant et vain comme ceux qui l’entourent !
N’est-ce pas à ce moment de grande perplexité et de doute que naît la lucidité ? N’est-elle pas le fruit de nos états d’âme successifs ?
Et pour se dire un homme, ne doit-on pas passer par là ?
N’est-ce pas en ces instants de vérité que la vie individuelle se décide, laissant l’homme de pouvoir à sa fragilité et en même temps à sa part indestructible de liberté ?


Commentaires

Les moments de vraie lucidité sont rares dans une vie: ils sont tellement traumatisants que notre inconscient fait tout pour les fuir! Mais ce sont les seuls moments décisifs, ceux où l'on ressent le besoin impérieux et vital de trouver une autre façon de vivre. Durant ces moments, nous sommes comme assis sur un "divan de glace" qui nous fige le sang. Mais ces moments de terreur sont essentiels; Graf Durkheim, un maître zen allemand, dit qu'on ne peut réellement pratiquer le zen sans être passé par cette épreuve. Nul doute qu'un jour ou l'autre, nous en ferons l'expérience, qui que nous soyions: cul cousu d'or, politicien ou homme ordinaire...

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