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La chanson réaliste.

Les roses étaient plus blanches avant. Le chaland glissait silencieusement sur l’eau noire tiré par des haleurs… La cibiche était celle du condamné, avant d’être celle qui condamne…
A l’avoir testé avec des amis, la chanson réaliste partant de la fin du XIXme siècle à l’entre-deux guerres, avait au moins deux mérites, celui d’évoquer des situations sociales difficiles et au service de ce qui précède, développait un texte souvent de qualité, d’une poétique parfois discutable ; mais, comme le sont parfois certains poèmes de quelques bons auteurs…
Nostalgique du temps qui passe, la chanson réaliste a fini par y succomber à force de soupirs à contretemps, l’embaumement a fait le reste.
Au mieux de sa forme à l'entre deux guerre, c’est une chanson populaire "sentimentale" plutôt anarchiste que socialiste, que l’on chante dans les rues.
Souvent interprétée par des femmes, son univers social s’effrita au rythme du jazz, pourtant lui-même une musique d’exclus des années vingt.
La strophe de la chanson avec son refrain recopié à l’identique avait fait son temps.
Aujourd’hui, les nostalgiques doivent fouiller dans les catégories « Folklore musette » pour y repêcher de véritables chef-d’œuvres comme « Le chaland qui passe » ou « Du gris » de Berthe Sylva.
De l’âpreté de la vie à la campagne de Gaston Couté, à l’esthétique de Jules Jouy qui en fit autant pour la ville, de grands interprètes servirent de grands paroliers. Colette, Carco, Eluard, Vallès, Desnos, Van Dongen donnèrent du sens aux voix d’Yvonne George, Damia, Fréhel, Berthe Sylva, Piaf…
A cette esthétique, Aristide Bruant ajouta au Chat Noir fin du siècle, la gouaille dont le principal attrait était le plaisir rare d’engueuler le bourgeois assis aux premières tables.
Le point culminant de la chanson réaliste coïncida avec les progrès du gramophone et de l’enregistrement.
Aujourd’hui écouter Lys Gauty ou Léo Marjane relève de l’exploit réservé aux nostalgiques, les vieux dans les asiles, quelques disquaires spécialisés… D’astucieux paroliers, des mélodistes en panne d’imagination, feuilletteront les vieux albums sans oser en convenir.
C’est un répertoire très hétérogène que celui de la chanson réaliste où le naïf militantisme populaire, cède parfois la place à des drames familiaux qui visent la sensibilité pour n’atteindre, parfois, hélas, que la sensiblerie.

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La crise sociale semblait être l’inspirateur principal. Jusqu’au jour où le cinéma noir et blanc vint à y tempérer les ardeurs républicaines. C’est que l’on commençait à percevoir ce que cet art avait d’impacts qui multipliaient à l’envi les couplets subversifs sur les foules naïves…
La crise sociale demeure et pourtant la chanson réaliste n’existe plus. Il y a bien quelques interprètes qui tentent de moderniser le genre, avec parfois du succès, sans oublier le rap. Rien n’y fera, la page est tournée.
N’y aurait-il pas, outre les attraits de la nouveauté, la crainte des milieux où naissent les modes, d’une trop importante inhibition de la fatalité suite à une désespérance dont la société d’aujourd’hui n’a que faire dans ses projets productifs ?
Parce qu’à tout prendre, notre modernité compte davantage d’interprètes pleurnichardes, d’insanes paroliers et de minables orchestrations pour mépriser le passé.
Culture de l’oubli, du vertige du temps qui passe, les chansons élaborées à partir de plaintes "primitives", évoquent, mine de rien, un "pathétique insoutenable du quotidien", qui ne fait pas du travailleur « le héros joyeux » et fier d’avoir trouvé un emploi, tout dévoué à son patron au grand cœur.
Entre l'oeuvre chantée et le monde social il n’y avait parfois que le temps d’une soirée à la Mutualité ou l’accompagnement des grévistes à la porte des usines. Il suffisait de changer quelques mots, pour faire une arme d’une chanson.
La chanson réaliste a exploré la question des rapports entre art, politique et société par ses deux tendances contradictoires, le naturalisme et l'expressionnisme. Dans la chanson de l'entre-deux guerre, c'est cette seconde tendance qui dominera. Les interprètes au féminin sont les grandes prêtresses d'un tragique suscitant des espoirs et partant à la conquête de nouvelles utopies. On y sent les conquêtes ouvrières de 36 et la semaine de congés payés.
Cette sensibilité reconnue de la chanson réaliste déjà ancienne et pourtant si différente des romances et des bergeries qui l’ont précédées d’à peine un quart de siècle, crée encore de la surprise et de l’émotion aujourd’hui.
J’en veux pour preuve l’extrême émotion d’une amie à son audition, amie à laquelle je dédie ces quelques lignes.

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