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Des délits et des hommes…

-Nous allons imaginer que Monsieur Bergeret est à nouveau parmi nous.
-Madame Bergeret n’est pas là pour vous dire le contraire et Anatole non plus. Mais, c’est comme vous voulez. Ainsi font les enfants « On dit que… ».
-Monsieur Bergeret, que pensez-vous de la justice ?
-Jadis, le coupable n’était puni que s’il était pris sur le fait. S’il réussissait à disparaître, il avait toutes les chances d’échapper à son châtiment. Mais jadis, comme aujourd’hui, le crime est un acte qui exige une réponse. L’absence de l’auteur ne doit pas laisser la communauté sur l’impression d’un crime impuni, d’où la nécessité du bouc émissaire.
-Oui, le sang réclame le sang.
-Le côté pratique du bouc émissaire, c’est l’aspect économique de la chose. La police a toujours sous la main quelques individus qui l’indisposent. Il est plus expéditif et moins onéreux de trouver une victime à immoler qu’un coupable à punir.
-Ces pratiques barbares n’ont plus cours aujourd’hui ?
-Détrompez-vous, mon cher Jérôme. Cette conception de l’efficacité du pouvoir judiciaire est toujours très répandue dans nos Sociétés de Droit ! Elle s’est enracinée de telle sorte que notre époque est coutumière d’envoyer pendant de longues années en prison des gens condamnés sur des indices contestables, parfois même sur des préjugés sociaux ou racistes !
-L’efficacité de la police s’est améliorée. La manière de conduire une enquête, les moyens scientifiques dont elle dispose, permettent de nos jours de ne pas remplir les prisons d’innocents !
-La tradition est là qui empêche de faire sortir un suspect de prison, une fois qu’il y est entré. Comme, ce serait désavouer un procureur, un juge et finalement l’ensemble de la justice d’obtenir un acquittement et une réparation à la lumière des faits ou sous la pression publique, ce qui est rare. (1)
-Mais cela arrive !
-Oui, et c’est un progrès. Jadis, après les deux questions, autant valait que l’on vous pende tout de suite afin d’abréger vos souffrances. Malheureusement, si les brodequins et les poires d’angoisse ont déserté les commissariats, l’esprit tortionnaire n’est pas mort.
-La torture a perdu sa légalité. Elle est donc proscrite et celui qui la pratique encore est poursuivi !
-Certes. N’étant plus codifiée ses instruments ont disparu. Reste que l’improvisation réserve à tout objet contondant ou tranchant un pouvoir similaire.
-Nous sommes pourtant dans un Etat de Droit !
-Pour l’exercice de ce droit, il faut être deux, celui qui exerce l’autorité parce qu’il la représente et celui qui réclame le bénéfice de ce droit. L’arbitraire est monnaie courante. Elle fait partie des compensations que la police s’octroie quand elle se voit méprisée, insultée ou agressée.

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-Une institution ne peut pas enlever tout pouvoir au métier de policier ! On a vu le résultat avec les enseignants !
-Une institution ne doit pas proscrire les choix. Elle doit seulement éviter les choix abusifs. Les délits ne sont pas les pièces d’un puzzle qui s’assemblent parfaitement pour reconstituer une image conventionnelle que le constitutionnel à codifiée dans le livre de la Loi. Les peines ne sont jamais en rapport avec les faits sanctionnés de façon précise. Le pouvoir de modifier la sanction revient au juge
-C’est un pouvoir régalien !
-Exactement, que le pouvoir politique – en principe – ne peut changer, puisqu’il y a séparation des compétences entre le législateur et le personnel de justice.
-Pourquoi « en principe » ?
-Les amitiés se nouent et se dénouent. Les magistrats, les hommes d’affaires et les parlementaires sont souvent issus des mêmes milieux. Ils se connaissent, vont dans des clubs et ont une vie privée passablement fondées sur la même identité de classe et de moyens. Ce n’est évidemment pas pour cela qu’ils sont tous corrompus. Au contraire. Il y a des « caractères » qui résistent à tout. Mais, l’influence du milieu fait que sans le savoir, ils ont les uns et les autres des points communs. Ils défendent les mêmes valeurs.
-Justice de classe ?
-Parfois à leur corps défendant, mais c’est le plus souvent le cas. A cela, ajoutons la remarque de Renan « Il n’y a pire injustice que celle qui consiste à traiter également des choses inégales. ».
-Même injuste, la justice empêche la montée des barbaries.
-Reste à savoir de l’Etat ou de la rue, quelle est la pire des barbaries ?
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1. « …à accumuler d’un côté la puissance et le bonheur et de l’autre la faiblesse et la misère. Il y a entre l’état de société et l’état de nature, cette différence que le sauvage ne nuit à autrui que dans la mesure où il en peut tirer profit, tandis que l’homme social est souvent poussé par de mauvaises lois à faire du tort aux autres sans avantage pour lui. La plupart des lois ne représentent d’ailleurs que des privilèges et ne sont qu’un tribut imposé à tous, en faveur d’un petit nombre… C’est pourquoi tant de gens regardent la nation comme une machine compliquée dont les plus adroits et les plus puissants font mouvoir les rouages… Ces lois qu’imposent l’avidité des puissants et que subissent les faibles… » Cesare Beccaria, 1738-1794 ‘des délits et des peines’ in Champs Flammarion, 1979.

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