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Sören le polisson…

Sören Kierkegaard est ce que l’on peut qualifier d’entre les philosophes celui qui aura été le plus ambigu de tout le XIXme siècle. Selon un langage plus familier, on pourrait compléter « ambigu » par "un drôle de coco".
Voilà bien une licence qui ne cadre pas avec le caractère austère que l’on accorde d’habitude aux écrits philosophiques.
Sa vie est d’abord un défi au bon sens. On ne rompt pas avec une jeune fille pour s’éterniser dans le malheur de n’en avoir point voulu. On comprend que l’éducation de Michael, le père, n’ait pas été en mesure d’équilibrer le fils et qu’il était presque certain que par réaction Sören allait fréquenter les brasseries à l’âge d’homme.
Tour à tour mystique et libertin, un psychologue se poserait aujourd’hui la question de savoir si tout cela n’est pas délibérément fomenté par un écrivain qui n’a jamais écrit que sur lui-même. Alors, ce serait une sorte d’excitation à l’écriture qui le ferait toucher à tour de rôle aux extrêmes, à seule fin d’y trouver la matière de ses écrits.
L’un des pères du surréalisme rejoindrait ainsi quelque part la paranoïa d’un Sartre dans sa relation avec lui-même par le truchement de… Gustave Flaubert, dans « L’Idiot de la Famille » une somme de trois volumes qui comme Flaubert à propos de « Bouvard et Pécuchet » attendra à jamais le mot fin.
C’est par son rapport avec les femmes que Kierkegaard paraît le plus inquiétant.
Dans ce que le philosophe appelle son stade esthétique, « Le journal du « séducteur » est un des plus représentatifs.
C’est une autobiographie.
Johannes qui est censé être l’auteur, Victor Eremita et Constantin Constantius cachent à peine Sören, qui a publié « Ou Bien… Ou Bien » sous le pseudonyme de Victor Eremita et « La Répétition » sous celui de Constantin Constantius.
Fourniret, de sinistre mémoire, s’est peut-être inspiré du Journal. Pour Johannes-Sören, toute jeune fille qu’il croise sur sa route est la source d’une excitation particulière.

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A chaque rencontre, Johannes se montre empressé, beau parleur, fin psychologue.
Si Johannes est galant, la galanterie ne coûte rien. La séduction n’a donc pas de limite et la crainte de Don Juan n’est pas de manquer de femmes, mais de ne plus les désirer. Cependant, une certaine catégorie d’entre elles intéresse particulièrement Johannes-Sören : les très jeunes filles. Elles possèdent en elles l’innocence que le philosophe recherche, la virginité ou, selon lui, « la pruderie absolue ». Il n’accorde aucune attention aux femmes faites, parce qu’elles savent ! Il s’agit donc pour lui d’amener une jeune fille pure et sans tache jusqu’à une émotion sexuelle qui la conduit à cet instant unique que notre séducteur attend patiemment et où elle se donne tout entière. Après, déflorée, elle ne représente plus aucun intérêt !
Le voilà bien, ce philosophe danois, auteur de galipettes.
De là pour un esprit tordu et malade de forcer le destin en tentant d’abuser ses victimes en usant de violence, il n’y a qu’un pas.
Sören ne le franchit pas, heureusement pour la philosophie !
A sa naissance, le marquis de Sade était interné à Charenton, et il n’avait plus qu’un an à vivre.
Mais en s’étendant sur l’absolu désir, dont le caractère fort empêche de le passer au compte des profits et pertes, comme si de rien n’était, Sören a sans doute aiguillé vers le crime l’espèce la plus dangereuse des philosophes, celle qui met l’abstraction philosophique en pratique.
Johannes qui rencontre Cornélia dans la fraîche candeur de ses dix-sept ans serait passible aujourd’hui de la Correctionnelle pour « le mal » qu’il lui a fait.
Le reste aiguise l’appétit du libertin : la petite est bien gardée… sa candeur n’en sera que plus intacte.
Johannes mis en appétit tissera autour de cette proie juvénile les mailles d’un filet qui finiront par étouffer la proie, selon les cénobites ou la hisser au sommet à la fois du bonheur et du malheur, selon le vicomte de Valmont (1)..
Le texte est joliment troussé aussi…
Ils auront beau dire par la suite, nos habiles moralistes, qu’il faut bien dépeindre le vice afin de n’en pas être dupe, que, à force de détails… nous risquons d’y tomber aussi, tant le trouble passager que nous ressentons est inversement proportionnel à l’effet qu’il aurait dû avoir dans l’autre sens.
Sauf que pour l’honnête homme, cela ne reste qu’abstractions.
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1. « Les Liaisons dangereuses » est un roman épistolaire écrit par Pierre Choderlos de Laclos en 1782. Cette œuvre majeure du XVIIIe siècle narre la correspondance perverse de deux membres de la noblesse française du siècle des Lumières, genre de littérature que Sören Kierkegaard a probablement lu et dont il était friand.

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