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Rembourrage et pâturage…

Dentellière du vers libre, Béa était « écrivaine » j’en fus le thuriféraire.
C’était une avant-gardiste de la vieille école, une révolutionnaire du conservatisme, bref une allumeuse à la vertu sédative.
Elle faisait très hôtesse de l’air, si bien que les maniaques planifiaient de la parcourir en biplace, comme du temps de Latécoère.
Crawleuse, je fréquentai son bassin.
Diseuse, j’en étudiai la langue.
Pour faire l’éloge d’un livre à compte d’auteur, il convient de s’appuyer sur d’autres qui l’ont lu, et critiqué. Le livre à compte d’auteur est rarement heureux. On ne sait pas pourquoi et certainement pas à cause de l’éditeur.
On court le risque de n’en pas parler avec transport. L’appréciation nuancée étant une injure avec les fées de l’écriture, il vaut mieux n’en rien savoir, afin d’en parler avec sincérité…
Trousser un compliment sans enthousiasme, c’est comme trousser lors d’une fin de liaison. Quelqu’un qui va de l’incipit au mot fin sans connaître Béa, trouve parfois un certain intérêt à la lecture.
« Du voyagiste sans bagage » au « Bon passeur à la dérive », j’aurais pu, si je les avais lus, en réciter par coeur une ligne ou deux sur son passage.
Je laisse à d’autres l’étude du terrain. Il y a mille façons d’aborder des docus.
Comment rester frivole en lisant des poèmes qui cachent souvent les riches natures de nos consœurs sous trop de giroflées.
Béa était naturellement élégante, elle marchait en ondulant des hanches, ce qui montrait sa souplesse et autre chose qu’elle avait magnifiquement de proportionné.
Elle a dû être acrobate dans une autre vie, au triple saut singulière. Pas que sous chapiteau qu’elle était danseuse. Elle aurait dit ça en anglais bien mieux qu’à moi, tant elle avait la manière anglo-friponne à dire les choses.
Ses toilettes du dernier chic, son goût sûr du vêtement, tout se savait en ses poésies les plus déshabillées. Son tact infini reléguait ses extases dans ses textes. On eût dit qu’elle ne jouissait qu’entre les lignes.
Sa délectation était trop subtile pour qu’elle ressemblât aux amours humaines, dans les draps des stupres de l’après couché.
Je garde un souvenir ébloui d’une soirée en un petit théâtre confidentiel. Quelques malheureux comédiens hagards et à leurs débuts mettaient en pièces – hélas ! détachées – les Fleurs du Mal. Béa était vibrante et chaude à ma droite. Je posai la main sur sa cuisse gauche que voilait un bas noir, comme il se doit. Elle ne la retira qu’à l’entracte. Mais elle le fit de sorte que je crus qu’elle venait seulement de s’en apercevoir en baissé de rideau.
On ne peut pas sans risque être essentiellement physique, avec une écrivaine, sauf dans certains cas d’hystérie. Il était exclu de séduire Béa comme si elle avait été Angot. Je n’avais pas la nonchalance provocatrice de doc Gynéco, l’usucapion des stars.

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Un soir, je lus Rodogune de Pierre Corneille avec l’intention de m’en prévaloir plus tard. Pourquoi Rodogune ? Je trouvai le prénom suffisamment obsolète et précieux pour qu’il pût entrer dans la mythologie béatienne (plus tard, je dis par dépit béotienne).
Rodogune est un drame de l’ambition et de l’amour du pouvoir. Pour moi, plutôt le drame de l’ambition de pouvoir être l’intime d’entre les intimes. Ce théâtre est peu joué de nos jours, ce qui me permit de me singulariser à bon compte et dire avec aplomb « Peut-être la meilleure tragédie de Corneille, à cent lieues de votre œuvre, chère Béa. »
J’allai jusqu’à intercaler quelques vers de l’auteure dans le texte de Corneille.
Mais ce « cent lieues » lui déplut.
Elle était rancunière. J’en atteste à Corneille versifiant sa rancune à Marquise.
Si le bal est tragique, ce n’en est pas moins un bal.
Nous y dansions sous les masques de James Ensor. Nous y grimacions de l’âme.
Cela eût fini sous les frondaisons d’automne des « sept fontaines », si le temps ne s’était gâté.
Ainsi, glissant d’un siècle à l’autre, nous en eussions été du Grand au romantique. Mon amour eût sombré dans Lamartine, si Flaubert ne m’en avait prévenu...
Il n’en fut rien.
Notre passion après trois semaines se désagrégea au fil de trois ans de correspondance.
On pourrait se contenter d’une désespérance tranquille, tant qu’elle n’est pas écrite.
Dans le fond, l’Art console de tout.
L’encre est un dissolvant du sentiment amoureux. C’est que l’imagination s’enflamme, pour s’étouffer mieux. Nous renâclâmes d’entreprendre.
A l’échéance de ces trois semaines enchantées, la muse abandonna par mégarde un soutien-gorge blanc sur une chaise Louis-Philippe de son bureau à l’étage.
Ce laisser-aller fut l’acte de congédiement. Il en est de moins allusifs.
Le symbole était suffisamment fort. Les esthètes comprendront.
Finalement nous n’étions amoureux, l’une et l’un, que de l’écriture.
D’autant qu’il était rembourré…

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Motus et bouche cousue

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