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Quelle crise ?

Les grands trusts mondiaux, avec leurs marques et logos, leurs alliances et leurs O.P.A, ne se portent pas trop mal, malgré la crise, si l’on excepte le secteur automobile.
L’argent, il y en a trop. La vente Saint-Laurent-Berger a remis dans l’actualité les riches anonymes qui peuvent acheter un fauteuil au prix d’un building de dix étages. L’industrie de luxe est florissante. Les croisières affichent complet.
Les gens de la rue ont le sentiment que la crise ce n’est que pour eux.
Détail qui permet de situer le drame à un niveau jamais atteint, la bourgeoisie moyenne n’existe plus, phagocytée par le système, c’est le seul fusible qui ait sauté, entre les vraiment riches et les vraiment pauvres. Bien sûr, cette classe tampon fait encore illusion, le personnel politique qui a son salaire garanti par l’Etat y prend la place des partants. Il le fait parfois de façon maladroite par les journaux people, des poursuites judiciaires, et des signes visibles de prospérité en Toscane. Certains vont même jusqu’à l’ostentation, un peu comme ces familles de collabos qui s’installèrent dans des appartements dont les occupants étaient poussés dans des wagons pour s’aller faire gazer à Auschwitz.
Parce que des ventes comme celles de Saint-Laurent-Berger, si elles sont rares et s’adressent à l’élite financière, d’autres ventes moins glorieuses d’immeubles, de mobiliers et d’œuvres d’art passent des mains de ceux qui quittent malgré eux la classe moyenne au profit de ceux qui y entrent.
A cet égard, l’Office des hypothèques et le cadastre sont des sources intéressantes d’évaluation des patrimoines. Il est dommage que les banques ne peuvent pas nous dire aussi ce que deviennent les comptes. On y verrait sans doute au premier plan surgir les grands commis de l’Etat et les personnels politiques de « qualité ».

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Autrement dit, à l’heure où tout le monde se serre la ceinture, où les boutiquiers affiliés chez Mené des Classes moyennes jettent l’éponge et changent leur 200 m² contre un 95, le libéralisme moyen hante les travées de la Chambre et du Sénat. Tous partis confondus, la vie privée de nos ténors ne correspond pas aux discours de solidarité qu’ils nous prodiguent de plus en plus, au fur et à mesure que nous nous enfonçons dans le trente sixième dessous.
Parallèlement, les magasins de luxes dispensateurs des marques n’ont jamais tant vendu de leur camelote labellisée.
Les marques tendent à se soustraire de l’indicible envie des pauvres par des réseaux de sous-traitants, qui "font le sale boulot" en délocalisant dans des pays pauvres une bonne partie de la production ce qui permet de réduire encore les coûts augmentant d’autant les bénéfices.
Les marques ainsi délestées de « l’ennui de faire » peaufinent la dorure de leur blason dans des centres de vente rutilants, entretiennent sur un grand pied un staff adéquat et réconfortent les actionnaires par des rendements à deux chiffres, sur le temps que nous entretenons nos danseuses qui font des pointes, des chassés et des petits pas au moindre événement sur le trottoir de la rue de la Loi sous l’œil coadjuteurs de nos caméras.
C’est tellement beau la crise vue sous cet angle que son esthétisme devrait nous sauter aux yeux.
Toute cette bonne santé économique ne suffit pas hélas !
C’est pourtant un des rêves secrets de notre « gentry » : sortir de la crise par le haut ! Ainsi eux, déjà servis, gavés, laisseraient quelques restes aux gens du dessous. Ce que fit le roi Henri, si l’on en croit ce médisant Tallemant des Réaux, quand le galant sire en passant une cuisse de poulet sous le lit qu’il occupait avec sa maîtresse, dit au pauvre amant de cœur qui s’y était réfugié. « Il faut bien que tout le monde mange ».
Ainsi, nous bénéficierions des beaux restes et, faut-il l’espérer, de pauvre en pauvre, il en resterait toujours bien assez pour les SDF.
C’est à peu près ce qu’en pense Didier Reynders et Sabine Laruelle dans leur compassionnelle aventure avec nous jusqu’au 7 juin inclus. (Après, c’est selon les résultats)
Leur rêve serait d’étendre leur paradis à notre purgatoire et pour cela quoi d’autre de mieux qu’une mégamachine reliant entre elles des milliers d'autres petites machines, qui font corps avec leurs servants technoformés. Configuration de poupées gigognes en "rhizome".
Ce rhizome est un rêve pour celui qui voudrait jouer au "Big Brother" et s'insinuer au plus profond des esprits connectés, non pour satisfaire leurs désirs mais pour les orienter selon la bonne tendance et les inféoder à travers les images virtuelles, DVD ou télévisuelles, au grand consensus du progrès inéluctable et obligatoirement bon pour tous.
Ainsi à défaut d’une Rolex au poignet, nous aurions sa représentation virtuelle qui nous donnerait néanmoins l’heure, ce pourquoi toute montre est façonnée. Nous écririons avec un mont-blanc dont le prix nous dissuaderait de le faire, si notre écriture ne s’en alignait pas moins sur l’écran de notre ordinateur avec en exergue le logo célébré. Et tout à l’avenant le sac Hermès serait en plastique mais reproduit en image, la voiture serait au choix, mais à l’échelle 1/10. Ainsi nous collerions toujours au progrès et à l’expansionnisme toujours présent d’un capitalisme dont tous espèrent le second souffle, sans alourdir son passif et sans désespérer de lui.
Ceci n’est pas une fiction. C’est tout simplement le résultat d’une éducation par l’image et l’acceptation qu’elle entre dans notre vie comme si ce qu’elle évoque existait réellement.
C’est pourquoi nous voterons bientôt pour Reynders et Sabine Laruelle, comme s’ils étaient vraiment humains, alors qu’on sait bien que si par aventure cela s’avérait exact, ils répugneraient à toucher nos écrouelles, par le dégoût naturel qu’ont les gens sains à fréquenter les malades.

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