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Chérubin

Ah ! les deux ou trois répliques de Chérubin dans « Le mariage de Figaro ou la Folle journée », c’est tout ce dont pourrait rêver un amateur de femmes, quand on a treize ans, qu’elles vous acceptent encore dans leur intimité sans que cela prête à conséquence, pour elles, mais pas pour Chérubin qui les aime toutes, même Marceline, la vieille gouvernante.
« Une fille ! Une femme ! ah ! que ces noms sont doux ! Qu’ils sont intéressants ! »
Ce qui frappe le plus, c'est le symbole de l'amour naissant, chez Chérubin. Il est à l'origine de la pulsion qui jaillit et ne se tarira pas pendant de longues années. Son désir s'attache à tout ce qui est femme. Marceline le hante parce qu’elle est la femme qui a beaucoup vécu et donc beaucoup aimé, que ses rondeurs affirmées confirment, tant elles ont été manipulées, qu’elles en sont devenues lourdes à force. Le rêve de l’adolescent y porte à incandescence ses bouleversantes découvertes dans sa séduction naïve, même s’il ne le dit pas, et pourrait-il le dire à l’âge qu’il a ? Il aime aussi Suzanne parce qu’elle est vive jeune et belle et promise à Figaro, la Comtesse parce qu’elle est l’épouse à qui l’on vole des rubans de nuit.
L’ambiguïté de Chérubin, c’est la séduction innocente et irresponsable de l'enfant, qui jette un trouble dans le cœur des femmes, indépendamment de toute convention sociale.
Je me remémore qu’à cet âge, je m’étais lié d’amitié avec un polisson de ma trempe pour la seule raison que cela me permettait de rester des heures à épier sournoisement les moindres gestes de sa mère dont j’étais amoureux, sans que cela prêtât à conséquence.
Mon drame, c’est d’avoir oublié son prénom avec le temps. Il était exclu que je l’appelasse autrement que par son nom, précédé de Madame, dit sur un ton à la fois cérémonieux et emprunté.
C’était une femme ronde de partout, y compris du visage, sans être empâtée. Il y a ainsi de ces vénus callipyges dont la vivacité contraste avec l’apparence. Quand on est pourvue d’appâts comme je les pouvais voir, ils passent difficilement inaperçus.
Mon coup de foudre était survenu malgré moi et m’avait pris en traître.
C’était l’été. Dans le jardin de mon ami – nous appellerons l’objet de ma passion Marceline par commodité - Marceline tendait son linge sur les fils bordant l’allée. Elle était vêtue sommairement quoique sa tenue fût décente. Une robe sans manche s’arrêtait au-dessus du genou comme c’était la mode cet été là. Les brides de son soutien-gorge s’imprimaient dans la chair de ses épaules. A contre-jour, on voyait se dessiner sur le fin coton de la robe, les coutures de son slip. Elle plongeait les mains dans la manne d’osier et en ramenait une pièce de vêtement, qu’elle suspendait ensuite. Elle n’ignorait pas ma présence, mais je sentais bien que je ne comptais pas, que j’étais sans importance, comme un nain de jardin, en somme. Son attitude était pleine de grâce. Aussi bizarre que cela parût ce n’était pas ses jambes que son mouvement dévoilait assez haut vers lesquelles convergeaient mes regards et mes désirs, non ! je guettais le mouvement du haut qui tendait la poitrine et dévoilait une toison de poils noirs sous les bras qu’elle élevait pour toucher le fil, des bras de ballerines, quand dans le « Lac des cygnes » la danseuse étoile imite les battements d’aile…
Ces poils-là, j’en ai rêvé la nuit. J’en devenais malade de ne pouvoir les toucher, les sentir, les mâcher. Aussi guettais-je après cette première expérience amoureuse, la lessive suivante. Lorsqu’elle eut lieu, ma déception fut immense. Les poils noirs et brillants avaient disparu !
Depuis, mais suis-je le seul ? je ne puis entendre la réplique de Chérubin sans émotion. Hélas ! je n’en ai plus l’âge.

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C’est aussi pourquoi j’ai pris tant de plaisir aux Mémoires de Casanova, parce qu’il écrivit spontanément, naïvement, ses aventures amoureuses, depuis l’âge de dix ans. Casanova, comme Chérubin, aime toutes les femmes, chacune en son particulier comme si elle était unique.
Devenu bibliothécaire du Château de Dux, en Bohème, moqué par la valetaille, il se réfugiait dans l’écriture de sa vie, de laquelle il fit, au gré de ses humeurs, une fantasmagorie un rien affabulatoire.
Il est le contraire de Don Juan qui hait par dessus tout les femmes et particulièrement celles qu’il conquiert.
Le philosophe Marañon voit en Don Juan un pédéraste contrarié.
Don Juan nous a fait le plus grand tort dans l’appréciation que les femmes peuvent avoir sur les hommes.
Les femmes sont bien supérieures à nous dans tous les domaines, excepté celui de la guerre, nous aurions pu volontiers nous passer de cette supériorité là.
Ah ! les mâtines, ce sont elles qui nous choisissent mais nous laissent la croyance du contraire, à seule fin de passer pour un peu brusquées, ce qui leur confère pour l’avenir, d’immenses possibilités.
La partie n’est jamais égale entre l’homme et la femme. L’homme est un être mou et voué à se désarticuler dans un numéro perpétuel de séduction. La femme est plus logique, plus dure aussi dans ses convictions qu’elle n’entend partager avec personne.
Leur seul défaut, c’est Molière qui nous le livre, lui qui fut si à même de les observer sur son théâtre et qui en fit des comédies « La grande ambition des femmes est d’inspirer l’amour ». Et c’est bien vrai, que ce défaut les rend coquettes et capables d’infidélité, justement parce qu’elles estiment, souvent à raison, que les hommes ne s’occupent pas assez d’elles, surtout qu’ils ne sont pas tous Chérubin.

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