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Les monuments qu’on érige.

On a parlé abondamment cette semaine de l’accident de l’avion polonais transportant le président Kaczynski et sa suite à une commémo.
Le baisser de rideau aura lieu samedi sous la forme d’apothéose. On en halète déjà !
La perte de vies humaines dans de pareilles circonstances est évidemment un malheur pour les membres des familles touchées par le drame.
Des accidents - peut-être pas aussi spectaculaires - surviennent tous les jours sans que pour autant une semaine après on en parle avec l’abondance que l’on sait. Si les journaux se sont emparés de ce fait-divers, c’est bien à cause des personnalités qui y ont perdu la vie et pour relater « l’émoi et la consternation du peuple polonais tout entier ».
Dans l’océan de dithyrambes dont nous avons été largement abreuvés, l’unanimité semble être le maître mot. N’a-t-on pas été jusqu’à écrire que tous les partis polonais étaient unanimement resserrés autour du drapeau et du grand corps social de la Nation !
Mais où cela est devenu franchement pathétique, c’est sous la plume de quelques éditorialistes « La Nation polonaise orpheline de ses meilleurs enfants, comme ivre de douleur, s’est sentie brusquement « démunie » à la perte de ses élites irremplaçables. »
Tout ça dit d’une même voix ou écrit de la même encre violette, bien entendu… et de rappeler sur la lancée le « drame effroyable » que fut pour la Belgique la perte de son roi bien aimé Baudouin 1er pleuré par tout le pays.
Alors, là, je dis « stop ». On ne peut pas aller plus loin, sans que le ridicule ne finisse par percer sous le masque de l’honnête homme qui cache un sycophante.
Certes, les bougies déposées aux endroits de recueillement sont nombreuses, des hommes et des femmes pris dans la foule versent une larme pour les caméras et sans doute pour eux-mêmes, mais, y-a-t-il 38 millions de bougies devant la Diète à Varsovie et autant de citoyens en pleurs au risque d’inondation ? Non. Bien entendu. Le citoyen moyen est un être raisonnable et qui sait faire la part des choses. Il sait que les cimetières sont pleins de gens irremplaçables et que les « bonnes » places aussitôt vacantes seront immédiatement occupées sans que cela tourne plus mal et que la Nation vacille et disparaisse.

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Pour « faire » président de la république, rien de plus facile. Admettons que la moitié des 38 millions de Polonais ne soit pas apte et que dans les dix-neuf millions restant la moitié ne soit pas qualifiée pour obtenir le poste, cela fait quand même neuf millions et demi de personnes tout à fait capables de faire Kaczynski-bis.
Certes, on ne les connaît pas, et alors peut-être a-t-on tort ? Je gage que sur le nombre et sans dénigrer le mort, il devrait s’en trouver des centaines de milliers, voire de millions, ayant des convictions et le sens de la patrie supérieurs au défunt président.
Quant au reste des disparus de l’avion présidentiel, tout est à l’avenant, de la bonne épouse, au général, le nombre de personnes adéquates devrait sans doute être supérieur au neuf millions et des poussières pour le poste suprême, moi-même, si j’étais Polonais je n’aurais aucune crainte à postuler n’importe quoi, sachant bien que n’étant pas du premier cercle, tout ce que je risque est d’être déclaré fou par d’autres illustres compétents, tout prêts à m’interner.
Ce qui pousse les médias à fouiller les visages et guetter « les affres de la douleur » parmi le peuple, comme pour les stigmates d’un saint, c’est un réflexe de servilité envers les « élites » que sont les premiers personnages de l’Etat, les caïds de l’économie et les stars du box-office. La douleur collective est en soi la preuve d’une consécration.
N’est-ce pas dans le rôle des médias – enfin dans celui qu’ils se supposent – de montrer des élites dont la différence entre elle et nous justifie la déférence, la différence de statut, et cette espèce de pouvoir qu’ont les gens en vue de parler avant les autres plus qu’abondamment, de bénéficier des faveurs du peuple pour leurs moindres faits et gestes, de sorte qu’ils finissent par paraître « normal » de les voir exercer sur nous un pouvoir que nous ne supporterions pas des membres de notre famille ?
Les jugements de cour « selon que vous serez puissant ou misérable » de ce bon Monsieur de La Fontaine datent de bien plus loin que ses fables.
Aujourd’hui, il concerne les victimes d’un accident d’avion et la mise-en-scène de la douleur collective.
Je respecte la douleur des proches, je suspecte celles qui sont commandées par d’autres impératifs. Non, les hommes au pouvoir n’incarnent pas la patrie, alors qu’ils représentent si mal le peuple et que leurs intérêts ont du mal à s’accorder aux nôtres.
Le président de la Diète (la chambre basse) fera de son intérim un des plus beaux souvenirs de sa carrière, une foule de militaires se presse au double recueillement celui provoqué par la perte d’un supérieur hiérarchique et celui des grades et des médailles devenus soudain disponibles.
La Pologne ne perdra rien de ses prérogatives au sein de l’Europe et Bruxelles ne verra pas tarir le nombre de fonctionnaires faisant merveille à la Communauté.
Bref, à part le choix de la sépulture (sera-ce la crypte des rois ?) et l’enterrement que l’on devine grandiose ce samedi, toute la vie ordinaire restera en Pologne et ailleurs de la même eau comme s’il ne s’était rien passé.
Les hauts personnages lorsqu’ils auront rangé leurs redingotes et leurs grands uniformes dans les tiroirs pour des deuils futurs, vaqueront à leurs occupations hautement nécessaires pour eux-mêmes et vaguement secondaires pour le reste de la population.
Seuls quelques « Palotins » d’un roi de Pologne ubuesque auront encore au cœur quelques resserrements sincères. C’est comme ça… le peuple est trop bon… et trop poire !

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