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Comment peut-on être Charles Bricman ?

L’article D’Elie Barnabi « Comment peut-on être belge » paru dans le numéro 724 de Marianne a piqué ma curiosité. C’est souvent vrai, il n’y a pas pire qu’un journaliste français pour expliquer la politique belge à ses lecteurs.
Vanter les qualités d’écriture et de clairvoyance d’un journaliste belge sur la situation d’un pays, que l’on connaît soi-même aussi mal, relève de l’exploit ou de l’imposture.
Il fallait que je m’en assure.
Les blogs consultés ne tarissent pas d’éloges. Il s’agit de confrères et de personnalités « légèrement écœurées » du spectacle qu’offre la Belgique et proches de l’auteur. Ils lui décernent, les yeux fermés, les palmes académiques et les lauriers de l’habileté en des mots convenus, à propos de sa clairvoyance et de sa « merveilleuse » connaissance de l’histoire du pays.
Je ne joindrai pas ma voix au concert de louanges, pour plusieurs raisons.
Pourtant, on peut le rassurer : le succès sera au rendez-vous auprès de ceux – nombreux – qui croient encore que le père Bricman est en réalité le père Noël d’une Belgique éternelle.
Etant un trop infime personnage dans un pays qui compte plus de célébrités que de sapins d’Ardenne, mon avis ne saurait en aucune manière influencer les dithyrambes des plumes renommées.
Notre nouveau Chamfort serait une réincarnation d’Henri Pirenne. Voilà qui tombe bien, celui-ci n’est pas ma tasse de thé.
Le péché capital de l’ouvrage tient en son peu de références au passé, à la géographie, à l’artificialité d’un Etat qui n’aurait jamais dû être.
Le véniel serait l’oubli des Mouvements wallons, de Liège, du Namurois et du Borinage, qui ont toujours voulu un autre sort, que celui de lier leur destin aux Flamands.
Une mine d’éléments contredit la version soft de l’histoire de Belgique racontée par Bricman. Les Fonds wallons d’archives, de manuscrits et d’imprimés sont à la disposition de ceux qui prétendent recouper ce qu’ils affirment.
Si on n’accorde aucun intérêt aux témoignages des Travailleurs et des Petites Gens du Pays de Liège et d’ailleurs, on n’aura que la relation de l’épopée officielle et bourgeoise de 1831 à nos jours. On ne saura rien de l’étendue des objections contre ce mariage forcé du Nord et du Sud de la Wallonie française et révolutionnaire. Bien entendu, cette saga intimiste est absente ou complètement défigurée par la presse d’hier et d’aujourd’hui. Beaucoup d’écrivains locaux se réfugièrent dans la littérature patoisante et la publication confidentielle. Certains s’exilèrent ou firent de la prison.
Alors franchement, quand on fait l’impasse de cela, le reste devient facile et plus en adéquation avec le politiquement correct, unitariste et patriote.
Loin de moi la pensée de rabâcher des songes creux principautaires (1), mais il me semble que le peuple wallon eût évolué autrement, s’il n’avait pas été délibérément doté d’un fil à la patte du côté social, par l’organisation d’un Etat catholique, avec un roi et une bourgeoisie monarchiste dont longtemps la Flandre fut le fer de lance.
Où avez-vous été chercher que « les Belges ne se sont jamais gouverné seuls, sauf au niveau local. », puisqu’aussi bien la Principauté de Liège à son apogée était un territoire presque aussi vaste que la Wallonie actuelle, même si son Prince-Evêque était tributaire du Saint Empire romain germanique et que la population était le plus souvent en désaccord avec les méthodes de cet autocrate de l’Ancien Régime !
Par contre, pour la partie flamande de la Belgique, vous avez raison, tour à tour, espagnole, française, hollandaise, allemande, la fierté nationaliste vint plus tard. Le peuple dut s’accommoder de bien de maîtres différents.
Plus crédible est la partie qui traite de la politique nationale depuis 1970. Au lieu de faire partager des objectifs communs à travers les identités régionales, elle s’est ingéniée à séparer ce qui était séparable, offrant le triste spectacle du tracé loufoque de la frontière linguistique.
Entretemps, le rouleau compresseur du nombre agissait, plaçant à chaque législature de plus en plus de Flamands dans les postes essentiels. Un regret : Bricman est en faveur d’un Etat même flamandisé, pourvu qu’il reste « entier » sur la scène internationale.

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L’Etat-Nation francophone d’avant-guerre avec une population à 60% néerlandophone, serait la source de toutes les rancœurs du Nord !
L'Etat a été dirigé par une élite aussi bien flamande (parlant français) que francophone, dans une complicité d’intérêt. Le peuple flamand ne s’est révolté que contre le fait de parler français, pas contre ses maîtres. Ainsi, adroitement, ceux-ci canalisèrent la contestation sociale flamande vers un mécontentement nationaliste. Ce qui a parfaitement réussi, au point de permettre à un Bart De Wever de souffler sur les braises et d’accréditer le portrait du « fainéant wallon nourri par le courageux flamand ».
Ce qui est bien vu, c’est l’image de la Belgique au stade du « sauve qui peut » qui se tourne vers « l’Europe archaïque au moment où l'Europe essaye d'arriver à un continent uni. La Belgique a plutôt tendance à aller dans l'autre sens. »
Admettons que votre livre a le mérite d’exposer un point de vue. En aussi peu de pages, il vous était impossible d’en écrire davantage.
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1. Principautaire : Adj. Typique de l’état d’esprit des habitants de la région de Liège. Collectif « Belgicismes » éd. Duculot. 1994.

Commentaires

Merci pour vos commentaires engagés. Une précision toutefois: Elie Barnavi (pas Barnabi, ça c'est un héros de série télévisée) n'est pas "un journaliste français" mais un historien israélien de renom, spécialiste des guerres de religion. Il est actuellement directeur scientifique du Musée de l'Europe. On ne peut pas tout savoir, hein, Dick?

Que Monsieur Barnavi me pardonne cette coquille bien involontaire.
Comment appelez-vous, cher Monsieur Bricman la profession de quelqu'un qui écrit régulièrement dans des publications de presse en France ?
On ne peut pas avoir raison sur tout, hein, Charles ?

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