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L’homme sans qualité.

Sauf à de rares exceptions, la Belgique francophone n’a jamais brillé par ses grandes intelligences reconnues à Paris ; qu’on se rassure, de l’autre côté de la frontière linguistique non plus. Parfois, un écrivain, un économiste sort la tête de l’eau, un Paul Jorion, un Vaneigem ; mais, de telle manière que le plus souvent, le conformisme ambiant lui dénie le droit à la parole… on oublie qu’il est Belge !
Il y a de cela une bonne raison, un personnage consacré en Belgique a presque toujours un parcours tellement classique, tellement bourgeois et convenu, qu’on le retrouve à des centaines d’exemplaires ailleurs. S’il « perce » à Bruxelles ou en province, c’est qu’il en faut bien un, de temps en temps. Encore faut-il savoir qu’il ne percera pas ailleurs, sauf exception.
Si bien que la Belgique est une mine de talents inconnus et qui le resteront. L’original et l’intelligence sensible sont voués à l’anonymat, pour cause de non conformité.
C’est ainsi que nous ignorons des dizaines d’artistes ou d’érudits qui sont écœurés par la pesanteur de l’opinion moyenne dont la ministre de la culture Fadila Laanan est le porte-drapeau (On se rappelle la niaiserie de ses souhaits de nouvel an, véritable déni à l’intelligence).
En Belgique rien ne change, justement parce que le sentiment des gens est que tout change.
La nouveauté ne consiste pas dans l’idée que nous sommes engagés depuis un bon moment dans un processus de stagnation et même de déclin préoccupant. La nouveauté est que nous nous y sommes installés depuis si longtemps que nous finissons par nous y trouver bien.
Voyez le gouvernement provisoire. Il s’est emmitouflé dans le précaire et s’y sent très à l’aise. Depuis que la N-VA chipote sur sa légitimité, tout le monde est convaincu qu’il est un des meilleurs gouvernements que nous ayons eu. Et comment ne le serait-il pas, puisqu’il est exclu qu’il prenne des initiatives du côté des taxes et des impôts, qu’il propose des lois nouvelles qui sont autant de modifications contraignantes d’une vie au jour le jour déjà assez compliquée comme ça. A part Etienne Schouppe, ministre des transports, ivre de changements et gaffeur inouï, tous les autres paraissent apaisés, moins stressés et heureux, en somme, de cette nouvelle manière de gouverner. A croire que les affaires courantes, en limitant les ardeurs, conduisent à une gestion pleine de sagesse.
C’est du côté de la création, des sciences, de l’économie, de la gestion théorique de l’art de gouverner les peuples, du système en général, que cela ne va pas bien.
La misère intellectuelle y est éclatante. Trop d’artistes encensés, d’économistes issus des banques, de politiciens encaqués dans des partis aux vues étriquées, sectaires, sordides se projettent au devant de la scène, s’offrant en spectacle et faisant croire hors de Belgique que c’est ce que nous avons de mieux. Or, comme ils sont d’une rare médiocrité, nous voilà catalogués à leur aune.

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Avant juin 2010 nous n’avions pas encore connu le pire. Est-ce le désastre politique qui joint aux autres désastres nous rendent incomparables à l’étranger ? Le spectacle du dimanche midi de tous ces convoqués de l’actualité est un des plus navrant qu’il soit donné de voir. C’est étonnant que la presse étrangère ne s’est pas emparée de cet effarant défilé d’ultra-marionnettes de l’info, spectacle qui manque en Belgique par défaut de bouffons de qualité, avec nos imitateurs débiles, nos hommes de scène qui ne font rire que des idiots de village. Et encore tout ce petit monde n’a même pas à être comparé à d’illustres prédécesseurs, puisqu’il n’y en n’a pas. Pourtant, ils n’en jouissent pas moins du prestige, du pouvoir et de la faveur des médias.
Ce qui donne l’idée la plus exacte du niveau auquel nous sommes descendus est probablement l’importance démesurée accordée à Etienne de Calataÿ, Francis Delpérée, Pascal Delwit, D. Reynders, ainsi que tous les présidents de partis, à côté des Frères Taloche, André Lamy, Adamo, Cordy, etc. dans un patchwork allant du sérieux aux rires gras, de la politique au sport, du spectacle à la conférence, inimaginable inversion en matière de goût et d’intelligence que l’attention accordée par la sphère publique. Une telle caricature intellectuelle pourrait-elle exister dans une autre culture aujourd’hui, si ce n’est évidemment dans la culture flamande, réplique identique de la nôtre, mais aggravée d’une pauvreté supplémentaire due à la langue ?
Notre pays n’aime rien tant que le fait accompli, la célébrité acquise, le show médiatique assuré. Le scepticisme de l’Université et de la science n’empêche personne de dormir.
Les temps sont impitoyables, la crise est profonde, le système capitaliste n’est pas ce que l’on fait de mieux pour des lendemains incertains, qu’importe « Tombe la neige, impassible (sic) manège ». François Pirette est là, le nouveau Balzac de la Comédie humaine est arrivé.
On est bon pour le grandiose…
Le pouvoir médiatique, responsable principal de l’imposture culturelle, nous promène dans ses labyrinthes dans le but de nous révéler les dessous du système politique, économique, social et culturel, comme il les voit. Nous sommes ravis des explications. Quelques coups de grosse caisse et s’est reparti.
Finis les trublions, les Cassandre, les trouble-fêtes, Hilary Putnam constatant qu’aujourd’hui « …tout le monde chante les vertus du capitalisme, et c’est d’une fantastique indécence! », c’était il y a plus de vingt ans. Depuis, l’indécence a tellement pris de l’ampleur qu’on ne la voit plus.
Les grandes entreprises sont pressées à genoux par nos diplomates et même nos princes, de bien vouloir occuper nos espaces vides qui leur tendent les bras.
Cité par Jacques Rancière, Musil écrivait il n’y a pas des lustres : « Cette vénération n’est pas tout à fait réelle ; il s’y cache tout au fond la conviction assez générale que plus personne aujourd’hui ne la mérite vraiment, et quand la bouche s’ouvre, il est difficile de dire si c’est par enthousiasme ou pour bâiller. Dire aujourd’hui d’un homme qu’il est génial, quand on ajoute à part soi qu’il n’y a plus de génies, cela fait songer au culte des morts ou à ces amours hystériques qui ne se donnent en spectacle que parce que tout sentiment réel leur fait défaut. »

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