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La grande Simone.

Pourquoi est-on plus attentif aux critiques, qu’aux éloges ?
C’est une question que l’on est en droit de poser.
Les uns ne voient malice qu’en ceux qui dénoncent l’injustice et les exactions des riches ; les autres voient des agents de Marine Le Pen partout.
La critique tout azimut à feu roulant et à volonté est le résultat d’un principal défaut : je n’ai pas la bosse de l’admiration.
Je trouve que c’est se dégrader soi-même qu’élever certains hommes au-dessus des autres.
Sartre a raison lorsqu’il se dit « un homme parmi les hommes et que vaut n’importe qui ».
Je pense à une femme d’exception, ce soir. Il existe bien des êtres d’exception. L’exception ne hante pas les studios de télévision, ni les cabinets ministériels. On peut la rencontrer n’importe où, au hasard des rues ou dans des livres. Elle est n’importe qui, mais de façon tellement supérieure qu’elle en est transcendante, et entrée déjà dans la légende.
Je veux parler de Simone Weil (ne pas confondre avec Simone Veil), née à Paris en 1909 et morte de malnutrition en 1943, en Angleterre.
Trente-quatre ans d’une vie intense dans les bouleversements de la guerre d’Espagne, puis du conflit mondial de 40, c’est peu et pourtant de ce qu’il reste d’Elle, très peu de philosophes et de grands écrivains, eussent-ils vécu cent ans, ne peuvent s’y comparer.
La jeune Simone débuta une carrière d’enseignante de grec et de philosophie. Brillante et d’une intelligence rare, elle dérangeait déjà ses pairs par son excentricité, son savoir, la profondeur de son interrogation. Le milieu bourgeois l’insupporta vite. Elle prit le parti des gens que la bourgeoisie considérait avec mépris. Les années 1934-1935 subissaient encore les effets de la crise de 29. Elle se refusa de gagner plus d’argent que la plupart des travailleurs, quand une grande partie du peuple ne mangeait pas à sa faim. Elle ne garda qu’une modeste part de son salaire et fit le don du reste à des syndicats (1).
Malgré une santé délicate, Elle travailla près d’un an dans la période critique dénoncée ci-dessus, comme ouvrière spécialisée dans une usine métallurgique. Elle fit ainsi une expérience du travail manuel qui manque tant à nos intellectuels en chambre.

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Son livre « La condition ouvrière » accuse la brutalité des temps. Elle en garda une marque indélébile « comme les Romains marquaient au fer rouge, le front de leurs esclaves ».
Je ne vais pas suivre la vie de cette Femme de caractère pas à pas, mais souligner combien nos intellectuels de gauche paraissent pâlots et mal assortis au destin tragique qui s’est emparé d’une grande partie du monde du travail et de ses laissés pour compte.
Dans une des dernières lettres à sa famille, Elle écrit « En ce monde, seuls des êtres humains tombés au dernier degré de l’humiliation, loin au-dessous de la mendicité, non seulement sans considération sociale mais regardés par tous comme dépourvus de la première dignité, la raison – seuls ceux-là ont en fait la possibilité de dire la vérité. TOUS LES AUTRES MENTENT.
La lutte des classes était pour Elle la réalité la plus palpable de l’Histoire. Dès que les efforts des hommes en lutte contre une nature hostile devinrent plus productifs, les clans distinguèrent entre ceux qui commandaient et ceux qui exécutaient. « L’oppression de l’homme par l’homme crût proportionnellement à l’élargissement de son champ d’action. » (2)
Simone Weil était plutôt pessimiste quant à l’avenir de la condition ouvrière. Elle n’entrevoyait pas la fin de la lutte entre ceux qui exécutent et ceux qui commandent.
Les temps présents lui donnent raison.
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1. Les syndicats de l’époque n’étaient pas des caisses d’assurance et d’indemnités qu’ils sont devenus. C’étaient de véritables cellules de combat et de coopérative, en soutient à des travailleurs en lutte.
2. Czeslaw Milosz, Empereur de la Terre, éd. Fayard.

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