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Evelien et les chômeurs

La Dernière Heure est un journal coutumier d’une certaine forme de sensationnalisme qui ne se préoccupe pas de mettre en contexte les « perles » qui font mouche. Le lecteur n’en est pas toujours conscient. Sa réaction est évidemment en fonction de son opinion et de ses connaissances.
C’est ainsi que les abonnés ont pu lire l’article d’une forte en thèmes de l’université de Gand, Evelien Maes, dont on retrouve la signature dans des publications sur l’économie et le chômage (HR magazine).
Cet article en forme de trompette de Jéricho commence ainsi : « Le chômage a un coût pour les autorités. Dans quel pays d'Europe est-ce qu'un chômeur coûte le plus cher? ».
Après avoir donné du sérieux à l’enquête en citant l’EFPSI, La recette est aussi vieille que celle d’Alcibiade soudoyant les citoyens d’Athènes, puisque la bombe vient tout de suite après « … la Fédération européenne des Services à la personne a mené une enquête sur le coût annuel moyen d’un chômeur, et ceci dans six pays européens. De cette comparaison, il ressort que c’est en Belgique qu’ils sont les plus chers, puisqu’un sans emploi y coûte 33.443 euros par an. »
Le moment de stupeur passé, on tombe sur un semblant d’explication : « les enquêteurs n’ont pas uniquement tenu compte du coût des allocations de chômage et des dépenses d’activation, d’accompagnement et d’administration, mais aussi du manque à gagner de l’Etat quand une personne est au chômage… plusieurs milliers d’euros de potentielles contributions à la sécurité sociale et d’impôts. »

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Mine de rien, le chômeur est assimilé à tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre éludent leur contribution à la sécurité sociale et à l’impôt. Par exemple, les travailleurs au noir, les exilés des îles Caïman et même notre Mazarino national, puisque Di Rupo a une partie de son revenu de premier ministre qui n’est pas imposé.
Non seulement cela relativise la chose, mais encore amène l’universitaire gantoise à une sorte d’article de saison, puisque nous sommes en période de carnaval et que la folie hilarante est de rigueur.
Vu sous cet angle, évidemment, c’est drôle. Mais comme c’est du comique à la flamande, ce n’est pas pour tout le monde, à commencer par le pauvre type qui doit faire vivre sa famille avec moins de mille euros par mois. Il pourrait se demander où partent les 32 mille autres ? Les accompagnateurs de son malheur, les administrateurs de sa détresse, les fonctionnaires des finances qui se croisent les bras, sur le temps qu’il croise les siens, sauf qu’eux sont payés pour le faire, et l’Etat, happe-chair en chef, dépècent les 32 mille autres. C’est dommage qu’Evelien Maes n’a pas poussé un peu plus sa mirobolante synthèse de l’EFPSI, j’aurais aimé personnellement savoir, déduction faite des impôts que le chômeur ne paie pas, où vont les autres milliers d’euros ?
Mais la Dernière Heure n’a pas encore assez matraqué l’opinion, grâce à Evelien, suit le travail au corps : « Pour toutes ces raisons, notre pays se retrouve en tête du classement. Les salaires sont en effet plus élevés ici que dans les autres pays européens, entre autre grâce à l’indexation automatique. Cela signifie que les employeurs doivent proportionnellement apporter de plus grosses contributions, et qu’une plus grande part d’impôts est prélevée sur le salaire. De plus, les charges salariales en elles-mêmes sont déjà très hautes. Même le relativement haut taux TVA de 21% fait en sorte que les autorités passent à côté de beaucoup de revenus quand leurs citoyens ne peuvent pas réinjecter leur argent dans l’économie, à cause du chômage. »
Voilà qui est admirablement dit. Le chômeur est responsable de tout. C’est lui qui fait notre ruine et qui sera notre perte. La référence suprême le Royaume-Uni « a par ailleurs les allocations de chômage les plus basses de l’étude ». C’est vous dire comme nous avons tort de critiquer David Cameron, l’homme qui veut sauver l’Europe de la chienlit des chômeurs.
Heureusement toutes les universités de Belgique ne se trainent pas misérablement derrière l’opinion de l’économie mainstream (du laissez-faire à la social-démocratie) de leur consoeur gantoise.
L’ULB vient de sortir une étude du même tonneau, mais pas du même bord. La préface est éclairante : « Qu’il s’agisse du monde politique, médiatique ou scientifique, on use et abuse quotidiennement de ces statistiques. Or, s’il existe énormément de manières différentes de faire parler les chiffres relatifs au chômage, on peut avoir tendance à oublier que, derrière cette banalisation statistique, se trouvent des personnes vivant une situation angoissante à laquelle peuvent être associées des séquelles persistantes et cumulatives dans leurs effets. En effet, comme souligné dans l’introduction générale, les dommages causés par le chômage ne s’arrêtent pas à des considérations financières, telles que la perte de salaire. Il peut également entraîner une dépréciation du niveau de capital humain, avoir des répercussions sur la santé mais également sur le bien-être psychologique, atteindre la stabilité familiale voire engendrer une exclusion de la société. »
L’ULB ne passe pas pour appartenir à l’école hétérodoxe de l’économie, cependant elle démontre que l’on peut faire parler les statistiques et avoir du cœur.
En décortiquant juste ce qu’il faut pour ne pas en avoir, la Dernière Heure en association avec Evelein Maes a perdu une bonne occasion de se borner à des commentaires sur le foot, sport dans lequel ce journal abonde, d’autant que le dopage qui y sévit et l’argent qui y coule à flot, sont des domaines qui ne concernent pas un grand journal comme la D.H.

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