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Nique ta meuf.

Le métier de rappeur est très particulier. Il s’agit de faire croire qu’on est révolté à tous propos et en toutes circonstances. Ça, c’est pour plaire à la clientèle. Pour le louk, on s’intéresses à ce qui se fait de mieux dans la mode du mal fichu, en surveillant la concurrence.
Là-dessus, on choisit ses imprécations, on y mêle des anathèmes personnels pour rendre le texte le plus percutant possible. Le débit rapide impressionne. Plus c’est rapide, plus les amateurs sont persuadés que c’est de l’improvisation. N’en comprendre que la moitié est le signe que le rythme est soutenu. Seules les expressions fortes sont répétées et audibles. Le reste relève de l’à-peu-près conférant le mystère, pour en revenir au leitmotiv (refrain fait ringard).
Le rappeur a la haine. Il souffre. Tout au moins, il voudrait le faire croire. On voudrait qu’il ait une réserve de résilience. Il en a plus qu’on ne le croit.
Pour avoir une chance d’y faire son beurre, il convient d’incorporer des expressions soit entendue dans les quartiers périphériques par les bandes de jeunes, soit de les fabriquer soi-même, en traduisant des films américains de série B, tout en restant dans un registre qui n’attente pas à la société bourgeoise, si on veut se faire du blé.
Stromae n’est pas un rappeur, mais c’est un produit dérivé qui met en musique tous les malheurs du monde.
Pour les débutants, la chaîne en or poinçonné 24 carats, peut s’acheter 20 € Pelikanstraat à Anvers. Elle se ternit rapp…idement, mais on peut quand même faire quelques salles avant que cela soit vraiment visible, que ce « putain d’or, c’est pour niquer ta mère ».
Célébrer les putes, les flingues et les lingots, c’est s’assurer du cash dans des clubs qui ferment les yeux sur l’âge de la clientèle.
Il est de bon ton d’arriver dans une Mustang rouge des années 70 et de sauter par-dessus la portière comme dans les films américains.
La casquette noire est XL pour qu’elle tombe presque sur les yeux, penne en arrière et retenue par l’arête du nez. Pour ceux qui n’ont pas le blair qui saille, on peut serrer sur le front, sauf que ça fait mal après une heure de déhanchement dans la chaleur et les cris.
Il s’agit de tenir des propos surprenant, mais attention, pas sur tout. Le lieu est public, aller à contresens de l’opinion générale, mais pas se retrouver sur les bancs de la correctionnelle. C’est pour du flan, ne l’oublions pas.
Ce qui est porteur aujourd’hui c’est l’apologie de l’EI, du Daech si l’on préfère, mais pas trop en faisant gaffe. On fait comme si on était horrifié. On lit la presse le matin, on voit la tendance, et on balance trois ou quatre contrevérités parsemées d’injures.

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La pub se fait gratos sur la Toile, des posts Facebook, Instagram, des publications de selfies sur mail, Twitter etc.
Important, la grosse bagouze au petit doigt (pour le micro) visiblement du toc le plus bas de gamme possible. La tête de mort sur laiton ne se fait plus. Les tatouages sur les avant-bras sont presque obligatoires, en tee-shirt les bouts de manches roulés au-dessus des biceps (pour ceux qui font de la muscu depuis six mois), ça en jette. On se rappelle les jaquettes en or des dents de Joe Star.
Les manchons en fin voile simulant le travail du tatoueur, ça se voit trop dans les petites salles. Pour que ça fonctionne, il faut que le client y croie.
Toujours faire preuve de courage, surtout si on a fait de la gonflette. Tout dépend des lieux. Si la scène n’est pas trop surélevée, on a intérêt à prendre un batteur castard qui peut faire le coup de poing, sinon, sur la scène inaccessible, on peut agresser les premiers rangs. La salle adore ça !
Traiter les politiques comme de la merde, c’est courant. Parler de Dieu comme à un pote, il faut voir. Surtout, ne pas en remettre sur la question, des fois qu’il y aurait des détraqués authentiques dans la salle.
Bref, un métier qui s’apprend.
Les meilleurs s’y font beaucoup de thunes. Ils vivent rarement comme ils se décrivent dans leur business. Le plus dur, c’est de raconter une histoire que l’on tient bien, de dix manières différentes, de sorte que le public acquiert la conviction que le rappeur est un poète de l’instant à l’imagination la plus vive, alors qu’il fait la même chose tous les soirs.

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