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Hommage et deuil (1).

Karl Zéro aura eu le mot juste pour évoquer la mémoire de « ceux » de Charlie : « Ils étaient attirants et accueillants, ces mecs, il flottait là-bas un air de liberté paillarde, de gauchisme gaulois. Ce journal était fait par des gens fins qui jouaient aux lourdauds, qui vivaient de leur art et de leur intelligence en se marrant. Le rêve. »
Le plus étonnant, ce sont les plus coincés du derrière, les plus décidés à ne rien changer qui défileront ce dimanche à Paris « tous unis », d’accord, mais sur quelles idées ? Mais, pour que rien ne change, pardi !
Très jeune, je me suis senti floué par une société que je n’aimais pas. Le Canard Enchaîné m’a fait comprendre qu’il existe deux vérités, celle que l’on trouve partout et qu’il est de bon ton de suivre, parce qu’elle est aseptisée et confortable, et l’autre, plus discrète, plus intelligente ou si l’on veut moins évidente, plus difficile à croire et à trouver et qui risque de vous marginaliser à vie, mais combien plus chaude, plus exaltante, en un mot, plus proche de ce que certaines natures ressentent d’instinct et qui s’appelle l’insoumission.
Si bien que j’ai acquis un esprit rebelle. Je l’ai d’abord exercé sur des sujets officiellement détestés, par exemple la lecture des romans de Louis Ferdinand Céline, l’affreux collabo des années de guerre, l’antisémite viscéral. Dessous l’homme et ses inimitiés profondes, ses aberrantes erreurs, son racisme imbécile, j’ai découvert une humanité profonde, une impitoyable description des hommes et de leur société.
À cette lecture, j’ai découvert qu’il n’y avait pas de vérité absolue, mieux qu’il n’y a pas de vérité du tout, sauf celle qui consiste à supprimer la vie des autres, parce qu’on ne prend pas la peine de la comprendre.
Et que cette vérité là était la pire de toutes et qu’il fallait s’en défendre comme la peste.
Il y a dans tout assassin une faille profonde, qu’elle s’appelle la bêtise, l’irrationnel ou le rationnel, on trouve à un certain moment le caillou dans la chaussure qui fait que l’on en boitera la vie durant. Les assassins ne sont animés que par leur seule vérité. Guidés par leur égoïsme profond, ils ne peuvent pas sortir de l’impasse dans laquelle ils se trouvent à cause d’elle.
Qu’un des assassins ait hurlé à la rédaction de Charlie Hebdo « Où est Charlie ? » dit tout sur les tueurs.

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Les gens de Charlie-Hebdo sont morts parce qu’ils pourchassaient la stupidité humaine sous toutes ses formes et qu’une forme d’entre elles, née d’une métamorphose monstrueuse d’une religion, eut raison d’eux, en les supprimant par réflexe d’un index sur une gâchette.
De toutes les monstruosités nées de l’imagination des hommes, c’est encore les religions qui auront fait le plus de tort et le plus de victimes à l’humanité.
Les États policiers, les dictatures, les régimes politiques arrivent loin derrière. Et encore, ceux-ci ont-ils été conçus pour « le bien des peuples », avant d’être repris par un despote et entraînés dans d’affreuses tueries.
Les religions ont cependant un concurrent : le système économique actuel qui fait et fera encore des millions de morts parce qu’il est devenu mondial, comme les religions ont la vocation de l’être depuis des temps immémoriaux. La seule différence tient dans la division des religions et des guerres qu’elles se font entre elles. Le capitalisme lui est tout seul. Il a éliminé tous ses concurrents et se trouve bien placé pour faire le plus de morts possibles. Ses adorateurs sont partout, comme ses victimes. Mais contrairement aux religions, le capitalisme ne paie pas de mine et a toujours su se dissimuler sous des apparences trompeuses de bienfaiteurs.
Charlie Hebdo ne s’y était pas trompé. Il aurait bien pu être la victime d’un complot des riches. Seulement, on ne l’aurait pas su. On aurait tout simplement classé les assassins dans la catégorie des détraqués Kouachi Coulibaly.
Je relève un passage de l’intervention de Karl Zéro que je partage entièrement dans l’hommage rendu aux victimes « Ces mêmes "décideurs" politiques doivent maintenant se remettre en question: en laissant délibérément une partie de la jeunesse française pourrir sur pieds, est-ce qu'ils ne l'ont pas poussé vers la sortie, vers l'islamisme? Quel modèle de substitution lui a- t- on proposé? Quelle intégration? Quel boulot? Quel avenir? Combien de plans "urgence banlieues", comme autant de poudre aux yeux? »
C'est dur d'être tués par des cons, disent les foules attendries à la mémoire de ceux de Charlie. C’est encore plus dur d’être tués par les idées que véhiculent ces cons, quand on sait qu’une fois les cons morts, les idées survivent parce qu’on n’a garde d’en tarir la source.
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1. Lire le blog de Jean-Luc Mélenchon sur l’événement et le civisme républicain.

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