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Une magistrate sympa...

Pour une fois que nous avons « une juge éclairée » nous ne nous en plaindrons pas. Grâce soit rendue à Madame Manuela Cadelli, présidente de l’Association Syndicale des Magistrats, qui a écrit un article dans Le Soir « Le néolibéralisme est un fascisme » d’une grande rigueur et d’une parfaite logique.
À part l’introduction qui est sujette à la dispute, comme on l’entendait jadis d’une libre discussion, soit la filiation directe du libéralisme sur la Philosophie des Lumières contestable, le reste est un régal.
Madame Cadelli n’arrêtera son réquisitoire qu’au dernier mot de son article : « Le temps des précautions oratoires est révolu ; il convient de nommer les choses pour permettre la préparation d’une réaction démocrate concertée, notamment au sein des services publics. »
On passe sur le libéralisme et ses origines pour en arriver au « néolibéralisme » ainsi appelé à mon sens improprement puisqu’il s’agit du même libéralisme transformé par les circonstances : accroissement de la population mondiale, transports transcontinentaux à prix réduit, besoins nouveaux et pression sur les autorités.
« Le néolibéralisme est cet économisme total qui frappe chaque sphère de nos sociétés et chaque instant de notre époque. C’est un extrémisme.
»Le fascisme se définit comme l’assujettissement de toutes les composantes de l’État à une idéologie totalitaire et nihiliste.
»Je prétends que le néolibéralisme est un fascisme car l’économie a proprement assujetti les gouvernements des pays démocratiques mais aussi chaque parcelle de notre réflexion. L’État est maintenant au service de l’économie et de la finance qui le traitent en subordonné et lui commandent jusqu’à la mise en péril du bien commun. »
Je l’adore cette femme ! Elle vient en quelques phrases d’asseoir une réflexion sur la social-démocratie associée au libéralisme qui fait passer Élio Di Rupo et ceux qui pensent comme lui pour ce qu’ils sont devenus : des fascistes !
Sur sa lancée, elle rejoint toutes les réflexions d’extrême gauche sur l’austérité imbécile et concertée des gouvernements socialo-libéraux.
« L’austérité voulue par les milieux financiers est devenue une valeur supérieure qui remplace la politique. Faire des économies évite la poursuite de tout autre objectif public. Le principe de l’orthodoxie budgétaire va jusqu’à prétendre s’inscrire dans la Constitution des Etats. La notion de service public est ridiculisée. »
Mais comme elle a raison et que c’est limpide ce qu’elle écrit ! Penser que la magistrate est belge me raccommode avec la justice de ce pays, enfin ceux qui la servent sans en être dupe.
Et quand elle tient son idée, elle ne la lâche pas !
« Le nihilisme qui s’en déduit a permis de congédier l’universalisme et les valeurs humanistes les plus évidentes : solidarité, fraternité, intégration et respect de tous et des différences. Même la théorie économique classique n’y trouve plus son compte : le travail était auparavant un élément de la demande, et les travailleurs étaient respectés dans cette mesure ; la finance internationale en a fait une simple variable d’ajustement. »
Revenant sur le totalitarisme découlant logiquement du fascisme, ce que va devenir notre société est prévisible.
« Les plus démunis ne se voient plus rembourser certains soins de santé et renoncent à consulter un dentiste ? C’est que la modernisation de la sécurité sociale est en marche. »
Ainsi à propos de l’ordre social que le libéralisme nous prépare :
« Le darwinisme social domine et assigne à tous et à chacun les plus strictes prescriptions de performance : faiblir c’est faillir. Nos fondements culturels sont renversés : tout postulat humaniste est disqualifié ou démonétisé car le néolibéralisme a le monopole de la rationalité et du réalisme. Margaret Thatcher l’a indiqué en 1985 : « There is no alternative ». Tout le reste n’est qu’utopie, déraison et régression. Les vertus du débat et de la conflictualité sont discréditées puisque l’histoire est régie par une nécessité. »
Le mot est lâché « nécessité ». C’est le mot phare. Nos dirigeants nous font avaler la politique que l’on connaît par « nécessité ». On nous enjoint de faire, de dire et d’obéir par « nécessité », en oubliant de nous faire savoir de quelle nature elle est et même si elle existe !
Nous en arrivons à cette sous-culture que je dénonce depuis des années, pratiquement depuis les premières chroniques : « Cette sous-culture recèle une menace existentielle qui lui est propre : l’absence de performance condamne à la disparition et dans le même temps, chacun est inculpé d’inefficacité et contraint de se justifier de tout. La confiance est rompue. L’évaluation règne en maître… Et chacun de battre sa coulpe sur les gaspillages et les inerties dont il est coupable. »
Enfin la justice prend une volée : « L’idéologie néolibérale engendre une normativité qui concurrence les lois du parlement. La puissance démocratique du droit est donc compromise. Dans la concrétisation qu’ils représentent des libertés et des émancipations, et l’empêchement des abus qu’ils imposent, le droit et la procédure sont désormais des obstacles. »
Madame Cadelli ose un terme quasiment exclu du vocabulaire néo-libéral en parlant de « classe » : « La classe dominante ne s’administre pourtant pas la même potion qu’elle prescrit aux citoyens ordinaires car austérité bien ordonnée commence par les autres. L’économiste Thomas Piketty l’a parfaitement décrit dans son étude des inégalités et du capitalisme au XXIe siècle (Seuil 2013). »
L’État à la botte des puissances économiques réduit la démocratie à une fiction : « …l’État belge consentait sur dix ans des cadeaux fiscaux de 7 milliards aux multinationales, le justiciable a vu l’accès à la justice surtaxé (augmentation des droits de greffe, taxation à 21 % des honoraires d’avocat). Désormais pour obtenir réparation, les victimes d’injustice doivent être riches. »
Et mes articles concernant les cinq gouvernements de ce minuscule État trouvent ici un large écho : « Ceci dans un Etat où le nombre de mandataires publics défie tous les standards mondiaux. Dans ce secteur particulier, pas d’évaluation ni d’études de coût rapportée aux bénéfices. Un exemple : plus de trente ans après le fédéralisme, l’institution provinciale survit sans que personne ne puisse dire à quoi elle sert. La rationalisation et l’idéologie gestionnaire se sont fort opportunément arrêtées aux portes du monde politique. »
Pour le reste : Idéal sécuritaire, engagement, etc, cette femme a tout compris !
Grâce en soit rendue au journal Le Soir qui a « osé » lui donner une ou deux colonnes.
Je conclurais comme Madame Cadelli : « Le néolibéralisme est un fascisme. Il doit être combattu et un humanisme total doit être rétabli. », avec le regret de ne pas avoir passé l’article en son entier. Mais vous pouvez toujours le lire sur le journal en ligne du Soir.

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