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Game of Thrones (1)

Le Belge est friand de séries américaines. Il s’en fout de la grande Histoire. Elle-même rapportée de travers avec des traces et des témoignages divergents, tendancieux et incertains. Il se contente de ce que des metteurs en scène américains lui racontent par petit bout, comme s’ils étaient nés il y a plus de mille ans et qu’ils s’en souviendraient encore. Le voilà croyant dur comme fer à la lutte pour le trône dans une série culte « Game of Thrones », une sorte de Moyen-âge peuplé de dragons et de sorcières ressuscitant les morts, dans un fracas d’armures entrechoquées et de guerriers rugissant dans des décors semi-naturels arrangés de carton-pâte.
Le peuple y paraît en robe de bure de couleur sombre dans un va-et-vient incessant vendant et achetant sur des fonds de décor, à croire que tout le monde commerçait en ces temps anciens (un âge d’or libéral inédit). On le voit aussi pris de panique à la venue d’envahisseurs ou alors, quand il ne commerce pas, esclaves en péplum dans les salles du palais, puis en haillons après le passage des barbares (souvent des Mongols).
La fréquentation du seigneur le rend plus lettré ou plus martial, c’est selon sa destination : prêtre ou soldat.
L’équipement militaire situerait l’action un peu avant Charlemagne, quoique les épisodes maritimes fassent évoluer des vaisseaux nettement plus modernes.
L'engouement du public pour la série met en lumière son succès, mais aussi la pression sociale que le format peut exercer sur ceux qui ne la regardent pas.
Les religions semblent converger vers un seul dieu, par culte. Les divinités subalternes font la jonction avec la sorcellerie établie dans les mœurs du temps. L’extravagance des prêtres compensent le sérieux de la divinité.
Les prêtres en petits cochons vicieux faisant défiler Cersei Lannister nue devant le peuple commerçant, pour une fois lâchant ses échoppes et ses paniers de légumes, fut l’apothéose de la saison 5. Ces foutriquets rachetés par le grand prêtre immatériel, pétri de morale divine, sauvaient la saison. Le téléphage apprenait, lui, que le rôle de Cersei Lannister avait été doublé par une stripteaseuse. Certains furent pris d’une grande déception, au point d’abandonner la série pour Closer.
Les religions n’affichaient pas encore la pudibonderie dont on les voit parés après Charlemagne. Les baignades étaient collectives dans le plus simple appareil. Pendant les saisons chaudes les gens se passaient de vêtement sans que cela parût faire scandale. L’Europe peu à peu durcit ses mœurs et inventa la pudeur.
Il se dégage de la série une grande méconnaissance du Haut Moyen-âge et l’impossibilité de rattacher les épisodes à une période précise.
Mais au point où l’on en est, dans l’incroyable mélange entre les fictions qui s’entrecroisent et les réalités objectivées par le jeu des comédiens, comment rattacher ce simple divertissement à un semblant de réelle culture ?

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Tout récemment, j’ai lu un article qui commence par « Je n'ai jamais regardé Game of Thrones. J'ignore qui est Jon Snow, s'il est mort ou vivant, mais également tout ce qui pousse autant de royaumes à se battre pour le même trône. Et pourtant, à force de vous voir phagocyter les conversations, au travail ou lors de soirées entre amis, j'ai parfois l'étrange sentiment d'en connaître moi-même les moindres détails. »
Je soupçonne fort l’auteur de ces lignes d’attacher de l’importance à la pose intellectuelle qui consiste à nier tout divertissement populaire et qui commence par dire « Je ne regarde jamais Game of Thrones », tout en se projetant les épisodes en cachette.
Sans être dupe du rattachement à des mœurs et des faits ayant été, on s’emmerde moins à Game of Thrones qu’à un discours de Charles Michel.
Il faut dire que dans l’épitre, il n’y a guère que Monseigneur Bourdaloue et Louis Michel qui peuvent faire plus emmerdant encore. Heureusement que le premier est mort depuis longtemps, il faudra malheureusement se farcir le second encore un certain temps.
Il paraît qu’on n’entend plus que les fans de la série. C’est possible. Les adversaires se contentent d’éditer des bouquins pour intellos d’université.
Heureusement, il existe des dizaines, voire des centaines d'autres séries qui valent le détour, affirme Mélissa Thériault, professeure au département de philosophie et des arts de l'université du Québec à Trois-Rivières et auteure d'un article sur la dimension philosophique des séries télévisées.
On est rassuré, on a pour dix ans de séries à l’avance, soit de quoi passer au moins deux élections dans la joie et la bonne humeur.
Victor Wiard, doctorant en communication à l'université libre de Bruxelles et auteur d'une enquête sur la manière dont les jeunes Belges consomment les séries sur internet, est formel : la misère sur grand écran fait mieux supporter la misère réelle. Mettre à sac une ville et tuer sans discernement vieillards, femmes, enfants, malades et estropiés dans Game of Thrones font oublier Maggie De Block et ses nouvelles tracasseries à l’encontre des malades de longue durée.
D’ici à ce qu’on passe la sixième saison sur grand écran devant son ministère…
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1. Avec un titre aussi accrocheur j’espère doubler le nombre de visites.

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