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Apprendre à être un homme.

Voilà que tout repart à nouveau à propos de l’enseignement en Belgique francophone. On ne sait plus comment camoufler l’affreuse vérité : des enfants sortant de l’enseignement primaire savent approximativement lire, écrire et compter ! Pourtant ils ont franchi tous les écueils pour se retrouver en sixième année, en fin du cycle !
Alors, au lieu de mettre le paquet où cela fait mal, on n’a rien trouvé de mieux que de postposer le constat douloureux du quasi illettrisme en le portant à la fin du cycle inférieur moyen. Ainsi jusqu’à quinze ans, on pourra sans aucune difficulté passer tous les examens en ânonnant à peine les questions, réservant aux réponses la grosse écriture pâteuse des laborieux de l’écrit.
Certes, on n’en peut évaluer le nombre. Ils ne sont pas tous débiles légers. Des intelligences vives sont parmi eux. L’instruction publique est en train de faillir à sa mission en ne les décelant pas, en renonçant par avance à les sortir de là.
On pourra évoquer la société de consommation, les gadgets, la faiblesse des parents, la pensée unique qui tue l’esprit critique, la guerre des écoles, l’absurdité du cours de rien, bref le climat délétère d’une fin de civilisation.
Certes, il y a un peu de tout ça.
Mais, il y a surtout le manque de moyens et une formation plus que tendancieuse des enseignants eux-mêmes.
Et là, la faute impardonnable incombe entièrement aux pouvoirs politique et administratif.
Il n’y a pas assez d’enseignants et les matières qu’ils donnent sont trop foisonnantes, trop dispersées pour qu’elles atteignent leur but : rendre la théorie perceptible à l’intelligence brute afin de l’ouvrir à l’humanité et à la culture.
On fait exactement le contraire. On est presque tenté de dire qu’avant de savoir les quatre opérations et de conjuguer des verbes selon les temps adéquats au récit, on place l’enfant dans l’urgence d’apprendre les techniques ouvrant sur les métiers, non pas en l’habituant à tenir un tournevis, mais en renonçant à l’instruire correctement de sorte qu’il sera un manœuvre d’industrie de base que l’école convertira, peut-être, en technicien du plus bas niveau.
La pensée funeste qu’il manque des chaudronniers et des soudeurs à l’arc, qu’on revendique cent emplois non pourvus dans la boucherie et qu’il convient d’en former, anéantit toute les classes sociales défavorisées qui placent leurs enfants à l’école, réduisant la formation à l’utile et aux besoins du moment. Alors que l’école ne sert qu’à faire des hommes debout !
Ce n’est pas une, mais dix guerres en retard qu’ont les ministres de l’instruction publique. À leur décharge, ils suivent les modes, les défis budgétaires, la pensée libérale si stupide qu’elle ne voit pas que ce qu’elle défend n’existe déjà plus.
Il faudrait mettre le paquet dans la formation des maîtres, dans un programme qui retrouverait les valeurs humanistes, apprendre aux maîtres à apprendre, et en former beaucoup afin de réduire le nombre d’élèves par classe et rouvrir celles des villages. En somme, il faut faire le contraire de ce que l’on produit sous la pression économique et les « tendances » mondialistes du moment.

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Gallimard, coll. "de La Pléiade", pp. 1390-1392. Œuvres en prose de Charles Péguy, on y lit un texte de cet ancien instituteur qui devrait être lu et commenté dans toute école d’enseignement supérieur des maîtres d’école et de collège.
En voici de courts extraits « …une société peut passer, truqué, maquillé, l’enseignement ne passe point, quand une société ne peut pas enseigner, ce n’est point qu’elle manque accidentellement d’un appareil ou d’une industrie ; quand une société ne peut pas enseigner, c’est qu’une société ne peut pas s’enseigner ; c’est qu’elle a honte, c’est qu’elle a peur de s’enseigner elle-même ; pour toute humanité, enseigner, au fond, c’est s’enseigner ; une société qui ne s’enseigne pas est une société qui ne s’aime pas ; qui ne s’estime pas ; et tel est précisément le cas de la société moderne.
Les parasites politiques parlementaires de tout le travail humain, les politiciens de la politique et de l’enseignement ont beau célébrer la science et le monde moderne et la société contemporaine en des ripailles cérémonielles ; ni la chaleur communicative des banquets, ni les décorations et les discours programmes et les toasts et les manifestations et les distributions d’eau bénite laïque ne font une humanité, un enseignement, une culture ; comment enseigner quand tout le monde ment ; je sais que l’on ment beaucoup dans l’enseignement ; mais tout de même l’enseignement répugne plus au mensonge que les autres opérations sociales ; l’enfance et la jeunesse ont, dans les sociétés les plus endommagées, une certaine force d’innocence propre qui résiste aux empiètements de la fraude ; c’est pour cela que la pédagogie réussit moins que les autres formes de démagogie ; et c’est pour cela que les maladies sociales venues du mensonge apparaissent d’abord en symptômes pédagogiques. »

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