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La mort du Kroumir.

Avec l’affaire De Decker, le MR et les classes moyennes risquent d’en prendre un coup.
Pourquoi ce jumelage entre un parti et une catégorie de citoyen ?
Parce que De Decker est libéral, ce qui n’a échappé à personne et incarnait jusqu’à hier le type même de la réussite sociale qui incite le petit commerçant à se saigner aux quatre veines en travaillant douze heures par jour, pour envoyer son enfant faire de « bonnes études » et devenir comme Monsieur Armand.
Et à tout prendre, même si l’homme est près de la sortie, il a quand même pour lui ce qu’il représente dans sa classe sociale et ce qui lui permet d’être toujours frais pondu du matin qu’on le croirait l’œillet à la boutonnière en passant souriant, là où quelqu’un d’un autre rang social bien inférieur passerait entre deux gendarmes.
Porte-drapeau de la belle réussite, Armand cache quelque chose de redoutable et même si contrairement à l’usage qui veut qu’à partir d’un certain niveau social, on ne va jamais en prison en Belgique, on voit derrière le panneau gigantesque de la publicité pour l’économie libérale, tous les admirateurs de Monsieur Armand, singulièrement aux abois, déclassés et en voie de disparition.
La classe moyenne commerçante est en train de rendre l’âme.
Un tour rapide et sans l’aide aucune d’un prétentieux docteur en économie d’une célébrissime université, tout le monde peut voir dans les centres villes flamands ou wallons une rapide désintégration des petits commerces qui faisaient le maillage de la société libérale ficher le camp et être remplacés par des minis bazars, parfois même en gérance par les anciens commerçants eux-mêmes déchus de leur entreprise, noyant ainsi les déserts du downtown de cache-misère vendant des fringues ou des chaussures ou résister dans des minis supermarchés, mettant à la caisse enregistreuse la fille de la maison qui ne peut plus poursuivre ses études faute de moyens.
Or, la classe moyenne version des années 80 est le seul joyau que détenaient encore les proches de Bel Armand pour monopoliser les voix du centre dans des apologies du capitalisme pur et dur. C’est embêtant comme tout. Un décalage de la perception de ce désastre entre Flamand et Francophone est visible. C’est ainsi que Charles Michel ferraille aujourd’hui pour un concept typiquement flandrien d’un capitalisme qui n’existe plus et dont nos voisins ne s’en sont pas encore aperçus. L’embêtant pour la famille libérale, c’est que les voix dont ces MM. ont besoin se trouvent en Wallonie et à Bruxelles et pas en Flandre.
Armand De Decker est un symbole. Il représente pour le commerçant, celui qui a gravi les échelons, même si dans la réalité, le chemin fut facile, comme allant de soi…

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Trump n’est qu’un avant-goût de ce qui attend les politiques. L’effondrement de la classe moyenne en Europe va produire plus de Trump qu’on imagine. La crise de la représentativité, du fonctionnement des institutions, de la redistribution, du caractère équitable de l’impôt et de l’identité, est un cocktail dont on déjà profité le FN, le FPÖ, la Ligue du Nord italienne, le PVV hollandais et la N-VA.
Nous assistons à un «upgrading» des emplois supérieurs qui se multiplient, alors que les effectifs des professions plus anciennes (ouvriers, agriculteurs, artisans, commerçants) sont de façon criante déficitaires. Le rythme de croissance des candidats potentiels diplômés à l’entrée dans les classes moyennes est en chute libre, à cause de la mondialisation et des restructurations extraterritoriales. Plus d'un diplômé sur cinq est sous-employé, voire prend la place d’un ouvrier non qualifié.
Contrairement aux idées reçues, les révolutions ont rarement des détonateurs vraiment populaires, elles sont souvent le produit de la révolte des intellectuels et des classes moyennes. Les acteurs de la rue sont souvent des groupes manipulés, aussitôt remplacés par des profiteurs dans l’ombre.
Pour que la belle façade du « bien vivre » libéral ne se lézarde pas, il aurait fallu qu’une justice, même si c’est une justice spectacle, demande publiquement des comptes à Bel Armand. Ce n’est pas le cas. Au mieux s’en sortira-t-il encore avec les honneurs de ses pairs du parti.
Hors commerce, sans emploi, écœurée, la classe moyenne belge devient une menace, au même titre que les syndicats et l’extrême gauche, pour une coalition d’intérêt MR-PS-CDH, De Decker est devenu l’objet symbolique encombrant, dont les Michel ne savent comment se défaire.
Armand De Decker, la mort du Kroumir tombe toujours au troisième acte. Nous y sommes.

DERNIÈRE MINUTE
Cet article a été écrit avant l’information de vendredi du magazine « le Vif » selon laquelle ’un mail daté du 19 juin 2011, deux jours après la transaction pénale conclue à Bruxelles entre le trio kazakh, et le parquet général, mettrait d'autres personnes en cause. Il est surtout très explicite sur le rôle joué par Armand De Decker, mais aussi sur l'implication de trois ministres de l'époque, Didier Reynders, Stefaan De Clerck et Steven Vanackere. Dans le contexte actuel de l'audition du seul De Decker lundi par le MR, il prend un sens bien différent. (Lire l’article dans Le Vif.)

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