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Redécouvrir Simmel.

Redécouvert vers 1980, Georg Simmel, un riche héritier de Chicago, a laissé en 1900 un livre de philosophie, mâtiné d’économie politique, sur l’argent. Les spécialistes de l’économie n’en ont pas encore fini d’en débattre. Les philosophes ont plutôt retenu le farfelu touche-à-tout qui dit tout et son contraire. Simmel, qui avait les moyens, a passé son existence à publier des livres, le seul point commun entre eux était l’assurance qu’ils seraient publiés, avec ou sans l’étiquette « à compte d’auteur ».
Inconsciemment, car tel n’était pas son propos, il nous délivre une réflexion prémonitoire de la société occidentale complètement sous l’influence de l’argent.
Ce n’est ni Orwell, ni Huxley, mais l’ensemble vaut la peine d’une lecture.
Quoique fervent partisan d’une société libérale sans retenue, Simmel cherche de façon naïve à faire d’un enfer pour les trois quarts de l’humanité, un paradis pour tous.
À force de s’appliquer à démontrer son contraire, il aboutit à nous faire voir que l’argent autorise des formes de pouvoir et de supériorité que Simmel appelle "superadditums". L’argent avantage le banquier dans l’échange sur le vendeur de biens. Le monopole, le dumping, l’entente sans arrêt condamnés et jamais éradiqués rendent impossible d’aborder sereinement la question majeure du juste et de l’injuste. Le pouvoir des intermédiaires dans l’échange, les collusions d’intérêt, le diktat des prix des grandes surfaces par rapport aux producteurs, font du capital l’arbitre économique toujours prépondérant sur le travail et le louage des services par contrat ou sans contrat.
Simmel semble avoir découvert à la moitié de son livre qu’"on ne prête qu'aux riches", aux riches considérations et avantages, aux pauvres, travail et revenus médiocres. Les uns vivront dans le luxe et l’insouciance du lendemain, afficheront un "mépris aristocratique de l'argent", les autres seront dans la nécessité de compter par centimes leur vie durant. Comme cette société fait la part belle aux riches et à ceux qui au service de la démocratie le deviendront à coup sûr, l’origine de l’incompréhension des dirigeants envers leurs administrés ou leurs serviteurs vient de là.
Livre didactique si l’on veut, il manque un chapitre sur la manière de devenir riche. Il n’y aurait que deux façons d’être riche, soit en l’étant de naissance, soit en exploitant les autres. Encore aujourd’hui on cherche une troisième voie.
L'argent n'est pas seulement un phénomène économique. Il peut être désiré pour lui-même. Fillon, Armand De Decker et bien d’autres en attestent.

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L'argent favorise l’oppression qu’exerce le fort sur le faible.
Simmel tempère ses propos, effrayé par les conclusions qu’un philosophe en tirerait : "l'aristocratie d'argent" est fragile et est susceptible d’un déclassement social.
Il ne manquerait plus qu’un ancien riche vive au-dessus de sa nouvelle condition, c’est dire comme l’argent tient une place si prépondérante qu’en-dehors de lui, on n’est plus rien !
L’argent participe à la dissolution des relations communautaires. Il n’épargne même pas la famille qui éclate souvent faute de moyens. (Simmel prétendait le contraire en 1900, la famille était alors le seul refuge des pauvres.) Cela prouve, s’il en est encore besoin, que les pouvoirs de l’argent de 1900 à aujourd’hui se sont encore accrus.
Il faut ajouter aussi que les immeubles haussmanniens avaient le mérite de faire cohabiter toutes les classes sociales sous le même toit, ou presque : commerce au rez-de-chaussée, bel étage noble au premier, fonctionnaire au second, jusqu’à la mansarde de bonne et de l’ouvrier.
L’ascenseur mécanique a proprement enterré la cohabitation.
Quitte à lisser les fluctuations économiques, l’argent n'empêche pas les crises financières. Simmel, précurseur de l’optimisme intéressé de Louis Michel a une explication. Elles proviennent du fait que l'argent perd alors ses aspects "objectivants".
On ne parlait pas encore de "bulle financière" en 1900, mais c’est à peu près ce genre de phénomène auquel Simmel fait allusion. « Les individus fixent la valeur des choses, et de l'argent, non plus en fonction d'une donnée "objective" mais en fonction de ce qu'on estime être l'estimation faite par les autres. »
C’était pas mal vu, il y a plus d’un siècle.

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