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À quoi bon ?

Parler de la mort, c’est aussi faire de la politique !
Je ne parle pas de ceux qui se défenestrent sur leur lieu de travail pousser à bout par les circonstances, ni ceux qui ayant perdu un travail perdent en même temps le goût de vivre.
Je pense à la manière d’aborder cette chose naturelle si différente du thème habituel, quand elle est une réflexion métaphysique dangereuse pour la société de consommation, au point qu’on l’évacue aujourd’hui, comme une chose qui n’arrive qu’aux autres. On peut aussi penser la mort comme un gisement d’exploitation des crédules, embarqués dans des mythologies abscons, avec au bout la terreur de Dieu ou, pire, se croire investi d’une procuration divine pour donner la mort aux impies.
Placer la mort au-dessus de la vie, c’est prendre la vie pour rien dans un déni d’intelligence.
En pensant à sa fin dernière, le travailleur échappe à son côté matériel et par conséquent « dérange » le système libéral. Car cette pensée l’induit à réfléchir sur la précarité de son existence et le peu d’intérêt aux choses qu’on lui fait faire rendant son existence peu enthousiasmante.
À quoi bon perdre sa vie à la gagner ?
Où situer la mort ? La mort est hors-catégorie. Tous les autres événements de notre existence s’inscrivent dans le temps, pas elle. C’est un événement dépareillé et unique. La mort commence à la naissance et est indispensable à la vie par antithèse.
L’homme debout, l’homme actif, celui qui s’inscrit à l’agora pour combattre, doit réinventer l’art de mourir, pour mieux organiser sont art de vivre.

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J’étais encore très jeune à l’époque, mais ce fait-divers m’avait beaucoup marqué. On pouvait lire dans les gazettes « Un accident du travail. Un ouvrier de Cockerill, manœuvre gueulard, est tombé dans un cubilot de fonte en fusion. On n’a rien retrouvé des restes du malheureux. »
J’ai pensé instantanément « que va-t-on faire des brames avec l’ouvrier dedans ? » (ces lingots de trente tonnes propres au laminage). Est-ce cela, la condition ouvrière ? Disparaître dans quelque chose tout de suite ou usé par trente ans d’assiduité à des tâches mille fois répétées ?
J’ai longtemps fait un rêve, toujours le même. C’est un type qui part de chez lui le matin se louer quelque part pour nourrir sa famille. On ne le revoit jamais. Il n’est plus nulle part. La nouvelle d’une place disponible fait le tour des quartiers. Des centaines de futurs invisibles veulent prendre sa place. Le patron de l’usine convoque son conseil « Messieurs, la sécurité dans l’entreprise est un luxe. Supprimons là ».
Cette mort injuste aurait dû valoir autre chose qu’une indemnité pour la veuve et un corbillard transportant une gueuse d'acier. Par exemple, un risque évalué au même titre que la paie d’un directeur pour les autres manœuvres gueulards et surtout le respect pour tous ces héros anonymes.
Ce fait-divers de trois lignes en tout petits caractères était perdu sous les titres ronflants d’un match de foot ou d’une visite d’un ministre important au palais des princes-Évêques, comme si cette mort ne valait rien par l’évaluation sociale de l’homme qui ne valait pas grand-chose..
Mieux organiser un art de vivre… voilà ce que cette mort évoque.
Dans une civilisation qui s’achève justement sur sa propre mort, l’instinct de vie doit prévaloir sur l’instinct de mort.
Nous ne sommes pas responsables des crises et des soubresauts d’un capitalisme capricieux, notre seul tort, mais il est immense, c’est notre passivité, notre façon en bons garçons d’accepter le mauvais sort comme une fatalité. Seule la mort est fatale et si elle succède à la vie, tout nous commande de veiller à ce que la vie soit la meilleure possible.
Nous ne sommes conscients que d’elle, nous ne savons rien de l’autre et si nous ne savons rien de la mort, c’est qu’il n’y a rien à savoir, sinon que les prêtres nous racontent des histoires à dormir debout. Sur le sujet de la connaissance, ils en sont au même point que nous. Pour eux, la mort, c’est leur fonds de commerce !
L’usage social qui est fait de la mort est un révélateur de notre civilisation. Que l’Homme puisse penser sa vie et par conséquent concevoir sa mort est un privilège dans le règne animal par rapport aux autres espèces, encore que de récents travaux indiqueraient que nous ne sommes pas les seuls conscients. L’instinct de reproduction de toutes les espèces, n’est-il pas un signe de connaissance ?
La réflexion de l’humoriste Pierre Dac est bien plus interprétative qu’un éclat de rire « La mort n’est qu’un manque de savoir-vivre ».

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