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La télé ou l’esprit de l’escalier.

L’année dernière, j’avais pris l’habitude de commenter l’émission politique de RTL du dimanche « C’est pas tous les jours dimanche ». Un peu pour savoir jusqu’où les tombeurs de l’émission concurrente de la RTBF pourraient aller, portés par l’indulgence du public, après leur victoire par forfait de la télévision publique.
Cette pratique me faisait presque l’obligation de réserver pour cela la chronique du lundi.
Comme cela ne menait qu’à une critique des « grandes voix », minuscules cabochards, et du présentateur Deborsu, redoutable bavard, responsable au millimètre des allées et venues du plateau, j’ai cessé de perdre mon dimanche midi à ce spectacle sans intérêt.
Après réflexion, je trouve que les émissions politiques ne servent pas à éclairer le téléspectateur, à peine à le divertir, puisqu’en principe les chroniqueurs ne sont pas là pour ça.
Alors, pourquoi y sont-ils ? Pourquoi RTL s’obstine-t-elle à perdre de l’argent sur ce créneau ?
C’est ce sur quoi j’essaie de répondre.
La télévision n’est pas un instrument de communication. Les images commentées qui font l’essentiel de l’actualité doivent être singulières, pour susciter l’intérêt de la chose vue. Et encore les images d’un cyclone par rapport à un autre, comme un incendie même si il est gigantesque, ressemble au précédent.
Plus singulières sont les informations directement liées à la politique du monde. Les centres d’intérêts éloignés sont traités avec plus de désinvolture. On y cherche le côté clownesque de Trump ou le discours inquiétant de Maduro, sans oublier pour ce dernier d’évoquer l’appui des militaires.
Quelqu’un qui n’a que la possibilité de s’informer sur ce support ne peut qu’épouser les thèses libérales, puisqu’il n’aurait pas la possibilité de faire la connaissance contradictoire des événements.
Les personnalités au pinacle des débats d’idées ou des soirées de philosophie, quand elles sont politiques, redoutent ces invitations à risque. Un mot qu’il ne faut pas dire, une idée à deux significations possibles et voilà la Toile qui s’enflamme.
Les deux chaînes nationales ne proposent qu’à des oiseaux aguerris ce genre d’exercice dont on sait l’extrême modération et le conformisme, un peu aussi pour elles-mêmes car les protestations vont aussi bien à la chaîne qui produit qu’au politique qui « dérape ».
La télévision cache en montrant, c’est-à-dire qu’elle sélectionne ce qui est montrable et ce qui à des titres divers ne l’est pas.
C’est un instrument de censure. Il permet de s’adresser au plus grand nombre, donc pour dire des choses qui méritent d’être dites au plus grand nombre. Il y a très peu de choses que l’on puisse dire au plus grand nombre sans fâcher quelques-uns, à part le service météo.
Faire la critique de la télévision à la télévision, voilà un jeu de rôle qui vous fait instantanément passer pour narcissique. Retourner le pouvoir symbolique de la télévision contre lui-même, en payant de sa personne, aucun producteur n’accepterait le rôle de produire cela. Un politique qui aurait cette idée serait tout de suite soupçonné de tirer des profits symboliques de cette dénonciation.

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Le présentateur doit avoir à l’esprit en permanence ce que pense celui qui le paie. Deborsu est tous les dimanches confronté à cette censure invisible. S’il convient bien, c’est qu’avec lui la direction sait qu’il n’y aura pas d’impair. Cette confiance le rassure. Il est le maître des règles à géométrie variable selon l’importance des personnages qu’il y a sur le plateau. « C’est quoi la question ?... Que voulez-vous dire précisément... Expliquez-vous…Répondez à ma question… Vous n’avez toujours pas répondu... Je vous donnerai la parole, etc. métronome Deborsu fait le tempo, contrôle les temps de paroles, il ne peut en aucune manière étendre un sujet qui devient intéressant par des idées qui sont émises. Ces interventions sont de véritables sommations, des ciseaux qui coupent dans le flux oratoire comme dans un tissu. Pour se faire valoir, quand il connaît la citation ou le sens que l’autre veut donner à une réplique il devient le porte-parole des auditeurs pour l’interrompre, mais c’est en réalité pour qu'on l'admire. Il adore se mettre à la place de l’usager quand c’est une grève qui paralyse la circulation. Il ne rate pas une occasion de railler le service public. On le dépeint libéral à toute épreuve, alors que nous n’en savons rien, puisqu’il joue un rôle et qu’il pense, officiellement, comme son employeur.
Il est tour à tour respectueux ou dédaigneux, attentionné et parfois coupant la parole de façon grossière.
Mais surtout, il a l’art d’anticiper les idées qui gagneraient à n’être pas dites, les mots à ne pas prononcer de la part de ses invités, au nom des attentes du public qu’il interprète, en supposant que les auditeurs ne comprendraient pas, révélateur de son inconscient politique.
Les injonctions s’adressent aux syndicalistes ou au Gilets jaunes trop revendicatifs « Que proposeriez-vous, hein, alors ? Le ton est péremptoire et n’attend pas la réponse avant de rebondir du côté des politiques où son ton s’adoucit immédiatement. Le comportement global diffère, selon à qui il s’adresse. Quand on fait le compte, par exemple lorsque Sofie Merckx du PTB avait été invitée, son temps de paroles était le plus réduit, alors qu’elle était la seule à défendre un point de vue contre tous les autres.
Les participants de l’extérieur ne sont pas à arme égale face aux professionnels de la parole, manipulateurs hors pair des gens et du langage.
Tout compte fait, ce n’est pas que le présentateur Deborsu qui entre dans le moule de l’homme de télévision, mais l’ensemble de la profession.

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