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Athènes 400 av JC – Bruxelles 2020.

On consomme beaucoup de fictions en temps de confinement. On se dédouble et on sort de chez soi dans la peau d’un autre. Seul le public féru de voyance et de faux dieux traite de visionnaire le cartomancien chez qui on donne ce qu’on veut, pour recevoir ce qu’on croit.
Quoi de plus largement exploitable que les grandes catastrophes et les pandémies ? Les grandes peurs reviennent du fond des âges nous hanter, comme il devait hanter les habitants de la grotte Chauvet.
Un des tout premiers à exploiter les colères des dieux fut Thucydide, mi-historien, mi-conteur, 400 ans avant JC. Sa Guerre du Péloponnèse qui opposa Athènes et Spartes, n’est plus célèbre qu’en rhétorique. Soudain, au milieu du récit, il abandonne les deux armées pour nous dépeindre la peste à Athènes. Il avait pris conscience de l’intérêt pour le lecteur de ses moments extrêmes où la vie de chacun ne tient qu’à un fil. Thucydide devient grand reporter.
La grande cité se délite sous la pression d’une maladie mystérieuse. L’affolement est général. Les cadavres sont abandonnés et dévorés par les chiens. La ville sombre dans l’anarchie.
«Chacun se livra à la poursuite du plaisir avec une audace qu'il cachait auparavant, écrit-il. À la vue de ces brusques changements, des riches qui mouraient subitement et des pauvres qui s'enrichissaient tout à coup des biens des morts, on chercha les profits et les jouissances rapides, puisque la vie et les richesses étaient également éphémères. Nul ne montrait d'empressement à atteindre avec quelque peine un but honnête; car on ne savait pas si on vivrait assez pour y parvenir. Le plaisir et tous les moyens pour l'atteindre, voilà ce qu'on jugeait beau et utile. Nul n'était retenu ni par la crainte des dieux, ni par les lois humaines; on ne faisait pas plus de cas de la piété que de l'impiété, depuis que l'on voyait tout le monde périr indistinctement; de plus, on ne pensait pas vivre assez longtemps pour avoir à rendre compte de ses fautes.»
À lire ce récit, on s’enorgueillit en Belgique de passer de vie à trépas, mais avec un État, quoique établi dans le mensonge, mais présent. À Athènes les chefs se battaient au côté de l’armée, la peste avait ses aises. La Belgique a un gouvernement, mais il n’y a pas de masque !
Ce qui a changé par rapport à Athènes tient dans ce que les démocraties modernes entretiennent deux armées, alors que Sparte et Athènes n’en avaient qu’une. La première veille à la paix extérieure et, la seconde maintien l’ordre intérieur. Ce sont les polices et les gendarmeries.
À Athènes, la population obéissait au Conseil des Anciens et faisait la police elle-même. Une grande partie de ce qui occupe nos tribunaux aujourd’hui était de la compétence du chef de famille. Il y avait très peu de délinquants, les prisons étaient quasi inexistantes. On y restait rarement plus de quelques jours, le temps de conduire un procès aux termes duquel n’existaient que deux options : la mort ou l’exil.

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Thucydide nous montre le gouffre effrayant de l’homme revenu à ses peurs ancestrales avec la peste. L’altruisme avait perdu le sens. On ne saluait plus son voisin. Les valeurs étaient bouleversées. On n’écoutait plus les sages de l’Agora, tandis que certains sortaient du mépris et de l’obscurité d’une vie d’infamie et trouvaient dans la peur générale, les moyens d’un commerce, l’organisation d’un méfait. Camus dans « La peste » a un mot approprié pour parler d’un coquin à qui la mort profite « En somme, la peste lui réussit ». Ce qui se passa à Oran, s’est passé à Athènes et est actuellement en cours avec le Covid-19, en Europe.
Une sorte de trêve sacrée laisse Sophie Wilmès diriger le pays, sans qu’il n’y ait plus vraiment d’opposition, dans un contexte où elle-même est minoritaire.
Une telle gouvernance eût été impossible à Athènes où les décisions se prenaient par consensus majoritaire. Ce qui n’empêchait pas des parvenus comme Alcibiade, de circonvenir les citoyens et de régner sur le peuple par un système où il acheta la charge de stratège. Aujourd’hui les dirigeants ne rendent guère de comptes au peuple sur leur comportement, sauf s’ils ont trop pillé la caisse publique. À Athènes tout stratège était responsable de ses échecs devant l’Assemblée. Maggie De Block et d’autres dirigeants qui sont dans les affaires, n’auraient pas terminé leur carrière de manière heureuse à Athènes. Sous l’Acropole, la plupart de nos glorieux aux belles fins de parcours, honneurs, grosse pensions, baronnie, décorations, eussent finis au mieux en exil, avec confiscation des biens, au pire, condamnés à boire la ciguë ou étranglés
C’est même une belle différence entre le modèle dont nous nous réclamons et ce que nous en avons fait : un paradis pour les riches, une sinécure sans responsabilité pour les ministres.
Mais s’il y a une ressemblance avec notre modèle, c’est dans le destin tragique des petites gens, esclaves dans l’antiquité, ouvriers et employés en 2020. Certes débarrassés des chaînes, et, dans le fond, toujours aussi maltraités.
Pour l’anecdote, la peste ce contenta de ravager Athènes. Dans leur sagesse, les Anciens n’avaient pas le néolibéralisme mondialisé.

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