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La vie a-t-elle un prix ?

Encore une chronique qui traite de philosophie, qui sera lue par très peu de personnes et encore, pas jusqu’au bout.
Les temps sont à l’instinct : prendre le bon et rejeter le mauvais. On voudrait devant soi une vitre invisible pour les autres, afin de marcher sous sa protection pour aller n’importe où impunément. Rien ne nous atteindrait. La vie redeviendrait normale. On jouerait les héros à voler au secours des autres sans risque, comme dans un film.
Il n’y a que les gens bien à l’abri qui peuvent rêver à la vie, à la mort, à la légèreté des êtres, à l’égoïsme légitime et comme Giscard, poser une main sur une fesse de l’intervieweuse, désir suprême de toute la vie… durant quelques secondes.
Les autres n’ont pas le temps. Le combat de leur survivance est quotidien. Il ne s’agit pas d’être stoïque et de s’opposer au mal, il s’agit de mettre bout à bout des petites choses, le loyer à payer, les vingt euros qui manquent pour manger à sa faim, les chaussures qui auraient besoin d’être remplacées. Le reste, la perspective de Covid, la mort par étouffement, dire « oui ça va » à qui vous demande comment vous allez, quand il pense à autre chose, c’est pour après, quand on aura résolu le problème du jour : est-ce que j’atteindrais la nuit pour qu’on me fiche la paix ?
Covid ravive la conscience d’exister et l’effroi de sa propre mort. Nul n’y échappe, il est vrai. Elle arrive quand on y pense le moins. Y penser sans cesse est intolérable. Sinon, c’est une affaire d’oisifs, une vacuité qui s’appelle la philosophie.
Des malins en vivent, Onfray, Comte-Sponville, d’autres améliorent leurs frichtis Canonne, Klein, etc.
Le déconfinement est propice au débat : que vaut la vie ?
Henry Miller considérait la vie comme un bienfait. C’est nous qui la rendons invivable et pas Covid. Covid nous aide surtout à nous y accrocher, parce que nous n’avons qu’elle.
Ce ne sont pas les philosophes qui rendent les débats insupportables, mais les économistes, quand ils nous parlent d'arbitrage entre risque mortel et ravages économiques ou sociaux.
Nous touchons là à l’ignoble d’un système qui assimile la vie à l’argent et jauge les hommes à son aune, comme si la vie n’était qu’un sous-produit, un ersatz bancaire.
Le confinement a un coût. En gelant l'activité économique, le chômage et la précarité se sont accrus. Les économistes s’immiscent dans le débat philosophique, les vies gagnées par le confinement valent-elles les pertes économiques ?

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Les patrons ont délégué leurs experts. Avant de dépenser une partie du produit intérieur brut pour sauver des vies, il faut se demander, disent-ils, si l'on n’en sauverait pas plus en investissant pour des routes plus sûres, ou d'autres mesures sanitaires.
C’est un raisonnement pernicieux. Tout le monde est d’accord qu’en confinant les populations le résultat a été immédiat, l’investissement sur la sécurité routière postpose le sauvetage des vies dans un futur indéterminé.
La philosophie balaie la dispute d’un revers de manche.
Vous êtes sur un chemin de halage quelqu’un se noie à vos pieds, mais vingt mètres plus loin un couple apparemment imprudent éprouve le même besoin d’aide. Il est impensable que vous délaissiez celui qui à trois mètres a besoin de vous pour se préoccuper d’un sauvetage que la distance rend problématique. On pare au plus pressé.
Un certain Hamermesh, américain, traduit la vie en valeur marchande : pour une vie sauvée aux États-Unis, 200 emplois sont perdus, soit 4 millions de dollars de salaire envolés en moyenne, là où la "valeur d'une vie statistique" dans le pays est estimée entre 9 et 10 millions de dollars. Sauver des vies est donc le meilleur choix économique, argumente-t-il, sans compter qu'"une vie est perdue pour toujours", à la différence d'un emploi.
Ce à quoi les néolibéraux répondent que dans les 200 emplois certains seront perdus à jamais, ce qui fait plus que les 4 millions perdus, sans compter les suicides, qui en découlent et qui sont aussi des vies perdues.
C’est le raisonnement fallacieux que rejettent la philosophie et la transcendance. Pour le respect de la condition humaine, il convient de sauver qui est à portée dans l’immédiat. La spéculation est un calcul hasardeux, pour une situation probable, mais non existante.
La valeur de la vie est sans limite. Elle n’est pas dans la statistique. Il faut laisser cette comptabilité aux gens sans scrupules qui nous gouvernent.
Qu’est-ce que la vie, écrit Mirabeau, qui nous privant chaque jour de quelqu’un de nos bonheurs passés ne tient aucun compte des promesses qu’elle nous fait pour l’avenir ?
Mais tout, mon cher Ci-devant, tout ! La vie est précieuse et unique pour chacun d’entre nous. Seuls ceux qui ont l’âme basse lui donnent un prix marchand, départ des inégalités sociales.

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