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Un esprit libre.

Paul Nizan écrivait en 1931 « La bourgeoisie travaillant pour elle seule, exploitant pour elle seule, massacrant pour elle seule, il lui est nécessaire de faire croire qu’elle travaille, qu’elle exploite, qu’elle massacre pour le bien final de l’humanité. Elle doit faire croire qu’elle est juste. Et elle-même doit le croire. M. Michelin doit faire croire qu’il ne fabrique des pneus que pour donner du travail à des ouvriers qui mourraient sans lui. »
Paul Nizan (1905-1940). La date de la mort dit tout. Elle se confond avec les anonymes qui ont contenu les Allemands tant qu’ils on pu devant Dunkerque.
Nous sommes quatre-vingts ans plus tard, l’année des masques.
Plus personne ne s’intéresse à Nizan si ce n’est une poignée de lecteurs qui lui sont restés fidèles. Déjà, à la sortie de la guerre, ceux qui l’avaient connu au PCF dont il était devenu permanent, puis s’en était démis, l’avaient suspecté de trahison. Il avait osé dénoncer en 39, le pacte germano-soviétique et tourné le dos au Stalinisme.
Je viens de relire « Aden d’Arabie » écrit en 1931. L’incipit nous dit quelque chose « J’avais vingt ans et je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie ».
Cette affirmation péremptoire, n’est-elle pas plus que jamais celle de notre jeunesse ? Qui dirait « J’avais 20 ans en 2020, et c’était pas drôle ! » pourrait-on le lui reprocher ?
La question se pose « aimons-nous vraiment nos enfants, quand nous leur laissons un univers souillé, artificiel, malade ? » Tout était déjà en germe en l’entre-deux guerres, quand l’Europe se tournait vers l’Amérique productiviste pour en faire un modèle de société, alors que Franklin Delano Roosevelt ne cachait pas une certaine admiration pour l’Allemagne nazie, jusqu’aux événements de Peal Harbor ?
Voici à peine trois mois, les événements s’exposent deux mêmes par une double fracture qui est celle d’une pandémie prévisible, mais non traitée comme il conviendrait, et une crise économique inhérente au capitalisme promoteur de troubles et d’inégalités, grippant une pénultième fois, le seul moteur qu’il ait : la croissance.
Ce n’est pas le livre de Gide « Retour d’URSS » de 1936, qui fit changer d’avis Paul Nizan, mais l’incroyable hypocrisie du Pacte germano-soviétique, alors que la République espagnole disparaissait sous les bombes allemandes et que les derniers résistants autour de Barcelone étaient fusillés par centaine.

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Au nom d’une politique du déshonneur, Staline embarrassait tous les PC d’Europe. Le pacte Signé le 23 août 1939 à Moscou, par les ministres des Affaires étrangères allemand, Joachim von Ribbentrop, et soviétique, Viatcheslav Molotov, mettait fin à l’illusion de milliers de communistes. Peu après, Maurice Thorez fuyait en URSS pour se mettre sous la protection de Staline, ne revenant en France qu’en 45.
Nizan incarna pendant près d’un an la rébellion d’un idéal venu de l’adolescence.
Helléniste, un peu dandy, ennemi des "3 B" idéalistes de l'entre deux-guerres (Blondel, Bergson, Brunschvicg), il s'initie à un marxisme sommaire qui lui sert de corset mental, mais tout en gardant sa liberté de penser indépendante.
Nizan sera tué au combat au début de la guerre, mais le Parti se souciera surtout de le faire mourir après sa mort, en le calomniant lors de ce qu'on a pu appeler le premier "procès stalinien par contumace".
On imagine ce que la mémoire de Nizan, en mai 2020, aurait pu conserver de l’homme de principe, si la mort ne l'avait cueilli du côté de Saint-Omer trop tôt.
Pourquoi revenir sur le cas de Nizan ? Il écrivit trois livres, trois romans (1). Il eut pu devenir un auteur à succès, puisqu’il obtint un prix littéraire.
La lettre de démission du P.C.F. envoyée par Paul Nizan à J. Duclos, vice-président de la Chambre des députés, et publiée dans l’Œuvre du 25 septembre 1939, n’est pas un pur et simple effet du pacte germano-soviétique, signé à Moscou un mois auparavant, et de l’entrée des troupes de l’U.R.S.S. dans le territoire de ce qui constituait alors la Pologne orientale. C’est plutôt l’aboutissement d’une expérience beaucoup plus complexe à laquelle les séjours en U.R.S.S. ont fourni des éléments capitaux.
Ayant rompu avec l’appareil stalinien, Nizan n’a pas cessé pourtant d’être communiste.
La hantise de la mort dans son œuvre, dépasse l’angoisse individuelle et exprime une époque dont nous ne sommes pas sortis. Il continue à nous parler, au-delà de sa propre fin.
Cette chronique sur Nizan n’est pas anodine. Son sens s’adresse au militant du PS, autant qu’on puisse encore imaginer qu’il y en ait. Quitter un parti qui n’incarne plus les idéaux de sa jeunesse, c’est montrer qu’on a conservé comme Nizan, un idéal qu’aucun chant des sirènes ne peut troubler.
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1. Aden-Arabie (1932), les Chiens de garde (1932), Antoine Bloyé (1933).

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