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Fusain.

Ce qu’on appelle « la peopolisation des ministres » est souvent stigmatisé en raison de ses implications politiques. Il n’est vraiment pas courant qu’un ministre démissionnaire désigne son successeur. Voilà directement Sophie Wilmès plongée dans le people puisque c’est d’elle dont il s’agit. Prééminence de l’image et de l’opinion au détriment des idées et de l’action à mener ; déclin de la politique idéologique et montée en puissance d’une politique de la confiance, fondée sur les valeurs les plus futiles de la culture, la voilà soutenue de l’extérieur en vertu de ce qui précède, pour un non-programme d’une durée indéterminée, probablement jusqu’à la fin de la législature.
Un phénomène qui crève les yeux à force d’être constamment sous notre regard, nous le rend totalement invisible, du moins largement impensable. Situation d’autant plus paradoxale, qu’elle s’applique à la capacité de certains qui ont pour tâche de bien connaître les autres.
A-t-on conscience que cette situation a débuté en décembre 2018 !
Puis vint le Covid-19, pour une ministre-19, c’est une coïncidence.
Aurions-nous regardé aujourd’hui comme nous regardions hier une infirmière ou une caissière, si nous n’avions pas eu le Covid-19 qui fait effet de loupe ?
Après bientôt quatre mois que la pandémie sévit, nous voyons les travailleurs exposés au danger, mais aussi les autres, qui courent un risque, autrement. Nous ne sommes par certains qui ceux qui avaient pour mission de bien connaître les autres, ont fait le même chemin que nous. La nouveauté, c’est qu’on n’a pas posé la question à Sophie Wilmès.
Les gens de pouvoir n’auraient pas la même sensibilité ?
Dans leur cas, on a affaire à un autre phénomène à la fois bien connu et peu compris.
Même Sophie Wilmès, intérimaire, n’est pas là par hasard. Charles Michel l’a sortie du lot et distinguée, non pas parce qu’elle est un être humain ordinaire avec des qualités et des défauts, mais parce qu’elle voulait y être et s’est comportée comme étant la meilleure.
Ce n’est même pas un jeu et une volonté de paraître qui l’a mise là où elle est, mais parce qu’elle représente l’archétype de l’ambition qui revendique naturellement la place tout a fait en correspondance à ses hautes qualités.
En un mot, elle croit en elle si bien que les autres y croient aussi par suggestion.
Or, rien ne nous dit qu’elle est sincèrement touchée par le travail de ceux qui sont exposés à Covid et qu’elle fait tout pour leur rendre la place qu’ils méritent ; et par delà, cette multitude qui vit mal et dans la gêne et qui pourtant part le matin se louer à un patron, pour s’en revenir harassée et récupérer des forces afin de repartir le lendemain.
C’est même tout le contraire qui se passe.
Non seulement elle n’a pas vu ses gens, mais son souci premier n’est pas de leur rendre justice.

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Elle pense que toute démarche revendicative risque de mettre à mal le projet néolibéral. Mieux, elle arrive à la conclusion que cette démarche hostile est un obstacle à la réalisation d’une société parfaitement marchande où tout se forme et se paie à un poids déterminé par l’offre et la demande. Elle ne se pose pas la question de savoir si cette organisation du monde est la plus favorable pour l’espèce. En l’occurrence ce n’est pas son problème. Elle a tout simplement peur que la réticence du peuple ne soit un obstacle à ses projets.
Elle gère tout un peuple pour organiser la vie meilleure d’une seule minorité, parce qu’on lui a dit et qu’elle en a été persuadée, que seule la bourgeoisie est éduquée, a le sens du pays et se conduit comme elle le doit par l’ordre supérieur des choses. N’a-t-elle pas été placée plus haut que la multitude, par le fait d’un homme de parti qui s’est montré au-dessus des lois et de telle sorte que personne ne dit rien !
Elle a un regard bienveillant pour la partie de la multitude qui n’ayant aucun point commun, ni d’aucune manière la chance d’entrer dans l’état bourgeois, vote MR quand même, pour les raisons que cette clientèle est diplômée, chef de gare ou espère un jour reprendre la gérance d’un self-service.
Pourtant elle a envie de bien faire et croit même parfois qu’elle fait ça « pour les gens », mais tout de suite se reprend en considérant qu’elle est bien mal payée en retour et coupe instantanément une sensiblerie naissante.
Wilmès comme les autres a des dispositions pour l’être et le paraître. Elle aime la lumière et la société bourgeoise, la sert en même temps, qu’elle s’en sert.
Lucrèce parlait déjà de ce phénomène. « il y en a qui périssent pour avoir leur statue, pour illustrer leur nom ». Oscar Wilde résume d’un mot caustique l’horreur humaine de l’invisibilité « The only thing worse than being talked about is nor being talket about (1) »
Être quelqu’un en vue, c’est avant tout une sensation ; la sensation spéciale d’être regardée. Elle intensifie le sentiment d’exister. Le prix à payer : être vue des autres signifie aussi qu’on ne voit pas les autres.
Sophie Wilmès ne déroge pas à la règle. Elle n’aime pas les gens parce que, entre autres, elle est libérale.
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1. Il n’y a qu’une seule chose qui soit pire que de faire parler de soi ; ne pas faire parler de soi.

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