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Jean-Pierre Bacri.

Cette chronique n’a pas l’intention de refaire ciné-revue. Les acteurs de cinéma, lorsqu’ils sont des comédiens venus des planches sont plus connus que leurs confrères restés dans les théâtres et ne sont pas pour autant plus doués que ces derniers, parce qu’ils sont plus connus.
Mais que l’un d’entre eux vienne à disparaître, cet événement suscite évidemment plus de commentaires et fait plus de bruit. Je suis peu sensible à la notoriété qui fait parfois de la réclame à ceux qui ne la méritent pas.
Pour une fois, on peut dire qu’elle a exposé à notre attention, un acteur qu’on estime, non pas seulement pour son jeu de comédien, ni pour son talent de créateur et réalisateur de films en collaboration avec Agnès Jaoui, mais pour son humanité, sa position à la gauche de la société, ce qui n’est pas courant dans ce milieu et son refus de dire des platitudes, un César en mains.
Je veux évidemment parler de Jean-Pierre Bacri.
Maintenant qu’il est mort, on peut bougonner à sa place, conférant à la voix qui l’imite une once de plus-value, en prétendant que « c’est ce qu’il aurait dit ».
Il a d’ailleurs laissé dans des interviews et dans ses films tant de traces, qu’il est facile de faire son « Jean-Pierre Bacri » sans crainte de se tromper.
Il n’aimait pas parler de la mort, parce que cela n’arrangeait pas les vivants et que, comme il en était encore, sachant qu’il passerait comme tout le monde de l’autre côté, il aimait mieux se trouver là où il était, critiquant ce qui n’allait pas. Sur cette question, il était intarissable, trouvant partout des choses à reprendre. Et il avait raison.
Il râlait beaucoup ces temps derniers sur la Covid, comment la crise était gérée, la perte que c’était pour tout le monde de ne plus pouvoir acheter le journal le matin, entrer dans un bistro et boire un café pour commencer la journée.
Il était sensible à cette perte quasi-totale de la liberté, sauf celle d’aller au boulot et ramasser le virus quand même, mais bon, il faut bien que la machine tourne malgré tout.
Comme il était très malade, on ne peut qu’interpréter son point de vue sur la vaccination. Il n’était pas pour. Faire quelque chose que tout le monde ou presque fait avait un côté inquiétant pour lui. Il avait bien conscience que la foule manipulée n’a pas toujours une bonne inspiration. Il n’était pas de Panurge.

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Il suivait la politique, comme on suit à la trace quelqu’un dont on se méfie. Il est mort à l’ouverture du procès Balladur-Liotard, concernant des sommes d’origine inconnue que le premier aurait perçue pour faire campagne contre Chirac. Cela aurait pu être Sarkozy ou le procès Duhamel qui n’aura pas lieu, les riches d’une manière ou d’une autre échappent toujours à la justice. Ils ne vont en prison que par erreur ou inadvertance. La politique le préoccupait, sans parti, mais partisan du bonheur des gens. Peut-être même aurait-il fait un film avec Agnès ?
Il aurait cherché le côté humain dans cette actualité qui en manque tant, soit pour la montrer, soit pour regretter son absence. Il a toujours fait ça avec madame Jaoui : chercher l’humain, montrer la difficulté d’en montrer les sources, plutôt que les paillettes d’imposture d’une fausse empathie. C’est ce qu’il détestait dans les milieux intellectuels parisiens : la mise en équation de la vie, du bonheur, de l’amitié, de l’amour par des philosophes qui prestent trop à la télévision, pour écrire eux-mêmes ce pourquoi on les admire.
Champion du monde des râleurs, Jean-Pierre Bacri l’était par devers lui, né comme ça, c’était sa nature. Son désaccord permanent n’était pas gratuit. Il détestait aussi bien celui qui s’écoute parler et qui a l’esprit à répondre sans écouter ce que disent les autres, que les inégalités crues, comme d’enjamber sur le trottoir nos semblables en pensant à sa digestion difficile au sortir d’un restaurant deux étoiles.
L’injustice, il la voyait dans tout et il n’avait que très rarement tort.
Sa force tenait dans son humour qui nous le faisait supporter, découvrant en nous-mêmes des parts de ce râleur infini.
Quoique les apparences fussent contraires, Jean-Pierre Bacri aimait la vie comme il aimait les gens. C’est parce qu’il les aimait qu’il ne leur passait rien. Dans le fond, c’était un moraliste qui détestait la morale.
« J’ai un côté un peu stoïcien qui me fait faire les deuils à une vitesse supersonique. » a-t-il confié un jour à une journaliste. Ce sera la seule citation de lui – vous aurez noté que je n’ai pas fait du remplissage en citant ses films – et ce sera à cette vitesse que je ferai mon deuil aussi.

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