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King Lear.

A moins d’un mois du premier tour de l’élection pour la présidence de la République, on est toujours sans nouvelle du programme du président sortant qui se représente.
Qu’importe, sa cote est toujours aussi haute et sa poursuivante, Marine Le Pen, est loin derrière.
La crise du Covid, mal perçue et mal gérée par le gouvernement rehausse au contraire l’estime des Français pour Emmanuel Macron. En prime, le gouvernement Castex allège fortement les mesures pour faire au Président comme une avenue d’honneur jusqu’aux urnes, alors qu’en fonction des mesures qu’on abandonne, le virus remonte en flèche les contaminations.
L’agression de Poutine en Ukraine est un nouveau prétexte à magnifier le prestige du président. L’importance des messages que Macron envoie à Poutine est à peu près nulle. Qu’importe, même si Poutine se moque de son homologue français, l’électeur sondé ne tarit pas d’éloges pour Macron.
C’est à croire que tout événement le bonifie. Le voilà grand stratège, recevant les chefs d’État de l’UE à Versailles, au titre de président de l’Europe. Il ne sortira rien du château de Louis XIV, sinon de belles photos de la Galerie des Glaces.
La crédibilité d'un homme politique ne tient souvent qu'à un mot ou une expression. La fracture sociale fut fatale à Jacques Chirac. La finance sans visage à François Hollande. On lance un mot dans la fièvre d'un meeting de campagne et il améliore automatiquement pour Macron, sa cote dans les sondages.
Comédien dès l’âge de 15 ans, super doué parce que super aimé par sa coache, il est impossible dans ces conditions de rester modeste. Pour lui, l'histoire est un tapis vert. On y lance des mots comme des dés. On y «prend son risque», comme il l'affirma le 31 août 2016, lorsqu'il démissionna du gouvernement pour se lancer dans la campagne présidentielle. Depuis son élection, il gouverne par les mots, s'efforçant de coller à l'état de l'opinion afin de garder en toutes circonstances le contrôle de la conversation. Ainsi du mot «guerre» employé il y a un an pour justifier le confinement, ainsi du mot «pari» lancé le 29 janvier pour repousser le même confinement.
Macron se veut transparent. Et il l’est puisque les regards le traversent, et pour cause, rien ne les arrête.
Il se donne à lire dans ses tours et détours. Il se démasque à l'envi et s'exhibe dans sa nudité. Il est omniprésent et transparent. Il ne s'agit donc plus de dévoiler le calcul derrière l'apparence, l'idéologie derrière le masque, de percer un secret, ou de résoudre une énigme.
De cette somme de riens s’est bâti une apparence qui plaît à une majorité de Français qui votent. Avec les abstentionnistes ce seraient autre chose. Ils se sont volontairement extraits du système. Ce n’est pas Macron qui les y ferait rentrer.
Pas de programme politique, de parti ou d'idéologie, Emmanuel Macron se moque des stratégies habituelles de campagne. Pour lui, la politique serait de l'ordre de l'enchantement, de la séduction, de la magie. Il s'agirait moins de convaincre et de délibérer que de faire jouer les ressorts d'une dramaturgie collective dont l'électeur serait à la fois le public et le héros: fascination de la mise en scène, alchimie du verbe. Le jeune homme qu'on disait rationnel et pragmatique se fierait plus aux lois de la magie qu'à celle de l'économie politique, ou plus exactement, il mettrait les unes au service des autres.

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Ce n’est pas Emmanuel Macon que les Français vont réélire, mais l’élève de Brigitte Trogneux.
La vérité est devenue banale et inconséquente, parmi d’autres définitions. L’exhibition des sortilèges est autrement plus importante. Une aura de sacralité profane, de magie artificielle noie les contours d’une politique dans un flou où il devient impossible de distinguer les contraires, d’où « l’en même temps » d’une politique de circonstances dans laquelle le populaire ne voit goutte, mais adhère.
Il ne s'agit plus de dissimuler la vérité, mais d'exhiber ses sortilèges. Macron a voulu redonner au pouvoir une sacralité profane, de magie artificielle, une hyper réalité politique caractérisée par l'impossibilité de distinguer les contraires. Car la scène politique n'est plus régie par la dissimulation, mais par la simulation; non plus par le secret et le calcul cynique, mais par l'exhibition et la surexposition. Triomphe de la télé-réalité sur le théâtre politique. Il n'y a rien à interpréter.
On a vu son art de la parole pour ne rien dire, durant l’épisode des discours de réconciliation avec les Gilets Jaunes. Le verbe omniprésent du président excluant tous les autres, le président fut juge et parties, s’adjugeant tous les rôles, pour s’en revenir tout heureux à l’Élysée, persuadé d’avoir convaincu et compris « le fond » des attachements des Français à la France.
De quel vide du pouvoir Macron est-il l'expression ? Le macronisme ne serait rien d'autre que la forme phénoménale que prend l'absence du pouvoir, le vide du pouvoir à l'heure de la crise des souverainetés étatiques. Et si le piège du macronisme résidait justement dans sa vacuité ?
Seule Brigitte pourrait nous le dire, elle a fabriqué l’artiste.
Macron serait comme Sir Laurence Olivier, un grand interprète de Shakespeare, jouant aussi bien les spectres, que le roi Lear.

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