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EN MARGE ?

D’une façon ou d’une autre, on n’y échappe pas. On se fait prendre par le courant du long fleuve de la vie avec les autres. Comment faire autrement ? De mémoire d’homme, c’est ce que fait pratiquement tout le monde. Nous sommes éduqués, instruits par des gens qui y étaient entrés avant nous. Ils ne s’en sont pas sortis, nageurs émérites ou débutants maladroits, pourquoi voulez-vous que ceux qu’ils instruisent et éduquent s’en sortent ?
Par chance ou malchance, certains échappent au flux impéueux, contrariés ou satisfaits qu’un courant contraire les ait plaqués de force contre la rive d’où ils venaient ou transportés sur une rive inconnue.
Ils entrent sans le savoir dans l’à-peu-près d’une sorte d’originalité.
Ce n’est pas simple de porter en soi la contradiction, de reprendre le mode vie de la multitude de façon critique et de n’être pas d’accord avec le répertoire classique d’une pensée collective unique. Ils ne le font pas exprès, c’est comme un besoin de ne pas pouvoir retenir sa langue, de prendre par un geste ou une attitude, une positon irritante pour une majorité. Les gens n’aiment pas être contredits, même s’ils se disent ouverts et prêts à entendre des propos avec lesquels ils ne sont pas d’accord. Sans le dire, ils sont contrariés à la moindre controverse . Comment peut-on ne pas être d’accord par rapport à des millions de gens ? Il y a là quelque chose qui dépasse la multitude. Les marginaux sont potentiellement hostiles, puisqu’ils parlent un langage inconnu parce qu’étrange, avec les mêmes mots qu’on apprend à l’école et qui se prononcent de la même manière partout, mais qui reste incompréhensibles ! Les gens réservent leur indulgence à ceux qui bégaient ou zozotent, pas à ceux qui raisonnent de façon personnelle et donc non conventionnelle.
Ils ne disent pas combien le contradicteur les irrite, parce qu’ils s’imaginent que faisant preuve eux-mêmes, croient-ils, d’originalité, un béotien n’est pas capable de saisir l’esprit de leur conversation ou ils disent rarement « je ne vous comprends pas » tandis que leur pensée vagabonde sur des choses qui rassurent.
C’est mal vu, d’autant que parmi ceux qui ont été entraîné par le flux massif, il en est qui on fait une mode de la marginalité, alors qu’ils sont par ailleurs les archétypes de la société classique. Ils en ont épousé toutes les normes, sauf celles de se vêtir ou de se faire couper les cheveux.
Cette apparence sert de présentoir afin que de toute part on puisse voir la marginalité sous son aspect le plus hideux ou le plus commercial, la laideur peut être une beauté futuriste. Les faux marginaux s’y entendent comme personne pour faire croire à ceux qui les ont en horreur, qu’ils sont authentiques, même si ce qu’ils ne diront pas coïncide parfaitement avec la pensée moutonnière qui lentement descend à la toile de l’eau, vers la mer où elle se noie.
Attention ! les vrais marginaux le sont rarement jusqu’au bout. Comme ils ne savent pas qu’ils le sont, ils finissent par rejoindre le flux par petite étape, sans le faire exprès, à l’occasion d’une maladie ou d’un décès.

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Quand ils sont malades, les proches s’apitoient sur leur sort. Comment ne pas leur répondre courtoisement ? Les rassurer et dire qu’on va de mieux en mieux et que la guérison est une affaire de jours, les voilà rentrés dans les normes. Mais les marginaux savent que cet apitoiement est une forme d’intérêt éphémère et que proche ou pas, tout le monde retourne à ses petites affaires dans la minute qui suit l’apitoiement, au point qu’au bout d’un certain temps, on a tout oublié de la maladie de Chose (on a même oublié son nom !) et on revient dire au malade exactement la même chose sur l’étape qu’il lui reste à franchir pour retrouver la santé.
L’attitude du flux général est différente lorsque le malade affiche l’incurabilité de sa maladie. Alors, l’intérêt redouble, on a devant soi quelqu’un qui ne s’en sortira pas. C’est un spectacle, un futur mort en représentation. On le dévisage avec minutie. On se met à compter les jours. Avec cette rémission qui parfois recule les échéances, dans certains cas on dit en aparté « pour quelqu’un qui ne devait pas passer l’hiver » et on s’irrite d’avoir tant de temps à l’avance prévu les obsèques, ce qui gâche parfois l’intérêt d’y aller. C’est un objet de curiosité qui rassure les vivants qui aiment que l’on passe avant eux de l’autre côté.
Mais ce qui irrite le plus la Panurgie, c’est la bonne santé du marginal, souvent inactif comme l’entendent les gens. On enrage qu’il ne fasse rien. Ce rien évidemment, c’est le boulot que l’on fait soi-même. C’est le seul parasite que l’on reconnaisse comme tel, parce qu’il touche tout le monde de près et qu’on le voit évoluer dans le quartier aux alentours, comme s’il était permis d’exister à ne rien faire quand tout s’active.
C’est un des traits caractéristiques des insectes infiniment petits par rapport aux humains. Que peut donc voir une fourmi d’un mur de vingt mètres de haut, sinon la première brique posée au niveau zéro ? Les lingots qui tapissent le haut de l’édifice passent inaperçus. On ne comptabilise pas les heures d’inactivité des heureux propriétaires comme du parasitisme plus honteux encore.
On se construit tout un cinéma sur le marginal l’œuvre destructrice qu’il poursuit et combien sa présence est un élément de désordre et de négation sociale.
On a tort. On n’imagine pas l’heureux chambardement que cela serait si nous étions tous des marginaux !

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