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Deuil ! L’absence de douleur m’égare (1)

Cette idée d’une fin dernière programmée et assistée est aussi vieille que la mort de Néron, trop lâche pour le faire lui-même, assisté de son esclave. Il est vrai qu’il valait mieux pour lui de passer par une initiative personnelle, plutôt que trépasser des rudes mains de deux légionnaires envoyés pour cette mission par le Sénat.
L’euthanasie qui va de soi afin d’abréger des souffrances inutiles, fait toujours débat en France. La chose est effective depuis longtemps en Suisse et guère moins de temps après qu’elle le fut dans les Cantons, en Belgique.
On a vu ainsi exercer ce droit par une rescapée de la tuerie salafiste de Zaventhem, de moins de vingt-cinq ans. C’est le jeune âge qui fit polémique. En Hollande, on ferait encore mieux dans les cas de mineurs irrémédiablement condamnés par la science et parachevés par la médecine, sans autre forme de procès.
Ce que le public ignorait et que je viens d’apprendre, l’euthanasie n’est pas un acte gratuit. Il est payant. Il serait de 10.000 euros en Suisse !
Connaissant la cherté des actes médicaux pour ceux qui n’ont pas de mutuelle, mais ont à la place un solide compte en banque, cela ne doit pas être pour rien en Belgique. Après la chose réussie, il serait vain de présenter la facture à un mort, surtout si celui-ci est sans bien et san héritier. J’ignore si cet acte définitif est remboursé par la mutuelle, sinon c’est un confort réservé à la classe possédante. Ainsi jusqu’au bout le bourgeois voit sa condition privilégiée perdurer.
Cette réflexion en entraînant une autre, il n’est pas recommandé d’aller chanter sur tous les toits qu’un carcinome intempestif est en train de vous ronger les entrailles, sous-entendant ainsi qu’on n’en a plus pour longtemps à traîner ses grolles dans un monde qui, en toute logique n’en à rien à cirer d’une existence aussi commune.
Les parents et amis ont des réactions quasiment les mêmes. Les gens sont gentils et ils aiment bien ceux avec lesquels ils ont fait un bout de route, sauf ceux auxquels ils ont emprunté de l’argent et oublié de le rendre. Cette nouvelle les bouleverse, à tout le moins les laisse sincèrement affectés. Mais voilà, la vie n’est jamais aussi importante, que lorsqu’on apprend que d’autres sont en train de la perdre.

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Le pire s’il est inéluctable, n’est pas toujours au rendez-vous dans la quinzaine qui suit l’annonce fatale. Alors, on s’étonne. Serait-ce que cette affirmation d’une fin prochaine ait été prématurée ? Au mieux, on se plaît à penser que le malade serait hypocondriaque. On fait des efforts de mémoire pour revivre des scènes où le moribond sursitaire geignait pour une écorchure. Et la dépression ? On oublie trop facilement que c’est un fléau. On évoque des périodes au cours desquelles le presque mort avait semblé sombrer dans une mélancolie inquiétante.
Enfin, le train-train d’une vie absorbante, fait le reste. Le malade est toujours là, mais comme il ne parle plus lui-même de l’infortune d’avoir choppé cette petite saloperie, on en arrive presque à le croire douer pour l’affabulation. On en est ravi pour lui, mais à partir de cette réflexion, on se méfie.
Quand on s’est fait à la pensée qu’on aura le malade encore un bon bout de temps, crac, on ne s’y attendait plus, on apprend la triste nouvelle. Enfin, ça y est. Il est mort. On peut dire qu’il a mis du temps. On avait fini par ne plus y croire.
Une visite s’impose. Des pleureuses sont présentes comme en Grèce ancienne, mais pas jusqu’à exprimer la douleur ressentie, par des manifestations gestuelles souvent violentes. Les us et coutumes se sont un peu perdues. Le respect à défaut de peine se veut discret.
Ainsi, ce n’était pas une blague ! Mais que cela ait pu durer si longtemps en est presque devenue une !
Repêcher au fond de soi les premiers émois et les accents de sincérité aux mots qu’on aurait pu prononcer sur la pierre tombale, sont difficiles. On n’est plus dans la forme de Malherbe consolant du Périer sur la mort de sa fille. On griffonne quelques lieux communs, des apitoiements de deuxième main ! Sans le savoir, en bafouillant la tête basse, on est dans le bon. L’assemblée croira voir quelqu’un dans la peine.
Se souvenir qu’on était dans le chagrin signifie qu’on n’a plus de chagrin. En tous cas, il n’est plus le même. On a eu le temps de peaufiner la peine, de la décanter, puis de l’oublier.
Tout dès lors devient conventionnel et les nouvelles résultant de l’agonie sont superfétatoires. Le funérarium bruit de réflexions que l’ont n’eût pas eues, si le patient avait été au bord du trou tout de suite, prêt à tomber dedans endéans la huitaine, à la première sonnerie de l’archange au téléphone.
– À son âge ! C’est qu’il en avait des réserves, le bougre.
– Il a fait traîner l’échéance, tant qu’il a pu. Il faut dire qu’il était un peu radin, c’est peut-être ça !
– Il était contre l’acharnement thérapeutique, paraît-il. Alors je voudrais savoir pourquoi il a attendu si longtemps avant de faire ses paquets ?
– Cela fait quand même quelque chose de savoir qu’il n’est plus là pour ses relations. Quant à ses proches, cela doit-être un beau soulagement. On a beau dire, on les aime bien, mais ça coûte cher les rémissions !
Enfin, arrive le jour ultime qui, une fois dépassé, sera celui auquel plus personne ne se souviendra quinze jours plus tard.
Ce n’est que longtemps après, au cours d’une conversation au hasard d’une rencontre d’un ami commun au disparu, un des deux dira « Tu sais Chose est mort » ! L’autre dira d’un air distrait « Ah ! bon, de quoi ? ». Au mot fanal, tout devient normal, cohérent, justifié.
« J’arrive où je suis étranger », écrivit Louis Aragon. En ce moment, les étrangers n’ont pas bonne presse…
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1. Jules Renard. « Journal ».

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