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Flamme blanche !

Dans le film « Tirailleur » Omar Sy campe un soldat sénégalais engagé dans la guerre de 14-18. Lors de l’émission « C ce soir », Karim Rissouli, interviewait l’acteur sur la levée en masse, souvent contre leur gré, de jeunes africains faisant partie de l’empire colonial français.
Ceux qui échappèrent au massacre, vétérans glorieux de la guerre, malgré les assurances qu’ils seraient établis au même titre que les autres Poilus dans les avantages des vétérans français, il n’en fut rien. Tous retournèrent dans leur village, sans aucune pension, ni autre avantage, aussi pauvres qu’ils étaient venus défendre la France.
Omar Sy, lors de l’émission, émit l’hypothèse que le soldat inconnu sous l’arc de triomphe était peut-être sénégalais ? Pourquoi pas, après tout, ce serait une belle revanche à jamais invérifiable. Seule une exhumation permettrait une autopsie.
Cet épisode d’actualité fait remonter aux faits historiques, des péripéties qui valurent les honneurs pour un seul, choisi entre les millions de morts de cette boucherie sans nom.
En 1919, encore secoués par les événements, pris dans une autre hécatombe, celle de la « Grippe espagnole », le gouvernement français et l’État-major des Armées cherchèrent les moyens de ne jamais oublier cette guerre.
Je laisse la suite du récit à Paul Léautaud qui le transcrivit dans son « Journal Littéraire ».
« Et l’histoire de la flamme éternelle ! Ce sacré Boissy qui a inventé cela. Comme on reconnaît bien là un homme de théâtre. C’est bien une nouvelle religion : la religion de la guerre ; cette flamme perpétuelle, c’est la lumière de l’adoration perpétuelle dans les églises. Nous avions encore bien besoin de cette bigoterie-là. »
Gabriel Boissy (1879-1949) propose au-dessus de la dépouille du soldat enterré sous l’Arc de Triomphe « …qu’ une lumière marquât constamment ce lieu symbolique. [...] Non point une lumière électrique, sèche, fixe et froide, qui se confondrait avec le luminaire environnant… mais, suspendue à un fil invisible ou supportée par un trépied massif, une flamme dansante, une petite flamme palpitante, émergeant d'une lampe d'argile garnie de l'huile traditionnelle. ». Cette idée, inspirée des cimetières italiens, soulève l'enthousiasme général.
Le 11 novembre 1923 la Flamme du souvenir sur la tombe du Soldat inconnu est allumée par le ministre de la Guerre, André Maginot.

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Léautaud peu sensible à tout ce qui touche à la guerre poursuit « il n’y a rien à espérer. Le progrès moral n’existe pas. On ne sait de quel côté se tourner… Je lui rappelais le mot d’Herzen, que Clémenceau a si bien plagié dans son « Voile du Bonheur ». « L’Autorité est impuissante, la révolte est impuissante… ». et c’est vrai ; l’autorité ne peut rien, au fond, et la révolte ne peut rien non plus. il n’y à rien à faire. Il n’y a qu’à s’en foutre. C’est le mieux. Qu’à s’en foutre, je vous dis… Je ne sais pourquoi, je me suis rappelé un mot qu’on a prêté à Clémenceau quand il a pris en main les affaires de la guerre : «La guerre est une affaire trop sérieuse pour qu’on la confie à des militaires. ». Évidemment cela ressemble à une boutade, peut passer pour un paradoxe. Pourtant, il semble bien qu’il y ait là l’expression d’un grand bons sens, d’un jugement clairvoyant à l’égard des capacités intellectuelles du monde des officiers en général. » (Journal Littéraire)
Dès l’Armistice, la France se cherche un symbole. Et c’est au cœur de la citadelle de Verdun que le Soldat inconnu va être choisi. La veille de la commémoration de l'Armistice, le 10 novembre 1920, le ministre André Maginot met à l’honneur un jeune soldat, Auguste Thin. Il est choisi parce qu’il est engagé volontaire dès janvier 1918, il a combattu au front, il a été blessé et gazé. Le ministre lui demande de désigner l’un des huit cercueils de soldats posés devant lui au cours d’une cérémonie militaire. Il désigne le 6e, car il correspond à la somme des chiffres de son régiment d’appartenance, le 132. Il y dépose un bouquet de fleurs. Le soir-même, le cercueil part pour Paris afin d’être enterré sous l’Arc de Triomphe.
Le 8 novembre 1920, une loi est votée pour qu'un hommage soit rendu aux restes d'un soldat non identifié "mort au champ d'honneur". Point de départ de la célébration de la figure du Soldat inconnu. Son cercueil arrive le 11 novembre 1920, porté par les compagnons d’arme de ce Soldat inconnu.
C’est ici qu’on est désolé pour Omar Sy et sa suggestion selon laquelle un Sénégalais pourrait être enterré sous l’Arc de Triomphe. Des hommes de la compagnie du soldat inconnu, aucun n’appartenait à une unité sénégalaise : tous Blancs !
Pour le consoler, cette pensée d’Héraclite « Le lien que l’on ne voit pas est plus fort que celui qu’on voit ».

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