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FEVRIER EN AOUT !

Mercredi soir l’émission QR de Sacha Daout a plus d’une fois frôlé le fascisme, tant les invités avaient sur le travail des vues classiques d’une droite qui ne désarme pas quant à la dépréciation qu’elle porte sur ceux qui cherchent du travail et qui n’en trouvent pas.
On aurait été bien en peine de trouver une opinion contraire à l’unanimité qui pousserait au travail par la contrainte, jusqu’à réduire, voire supprimer, les allocations de chômage.
Le peu d’écart entre les bas salaires et les sommes perçues par les chômeurs tendrait à décourager de se lever tôt matin pour se rendre à l‘usine. Personne n’a relevé qu’il suffirait d’augmenter les bas salaires directement par l’employeur pour régler le problème, plutôt que chercher la diminution des taxes ou pire baisser les allocations de chômage. Le délégué de la FEB a développé les thèmes habituels de concurrence pour exclure une augmentation directe de l’employeur.
Une émission convenue, sans originalité, comme le seul produit admissible pour une télévision d’Etat avec un Sacha Daout qui a compris le topo et que la direction ne prendra pas en défaut d’anticonformisme.
On n’a jamais tant écrit sur le travail… au siècle dernier. Aujourd’hui, la question de l’éthique sur le travail semble résolue : on l’a mise sous le tapis. Le travail apparaît comme la seule issue permettant au citoyen de se considérer comme une personne honorable satisfaisant à ses responsabilités, de se former en tant qu’individu… enfin pas tous les citoyens, les riches sont au-dessus de la règle générale d’honorabilité. Ils le sont naturellement qu’ils travaillent ou pas.
Les invités de Daout n’ont jamais tant associé le travail aux qualités humaines, alors qu’il y est parfaitement étranger. Le courage, l’altruisme, le dévouement pour une noble cause, une vision plus juste de l’économie, n’ont rien à voir avec le fait de reproduire les mêmes gestes ou de vérifier les mêmes bordereaux huit heures par jour, sous l’œil d’un contremaître ou d’un chef de bureau et sous leur contrainte.
L’irresponsabilité est du côté du chômeur, pas loin d’être considéré comme un asocial, se complaisant dans une situation en délicatesse, porté par ceux qui travaillent comme un boulet. Emmanuel Macron l’a dit « il suffit de traverser la rue » pour transformer un chômeur en un bon citoyen.
Or cette société fabrique des chômeurs qui lui sont indispensables pour fonctionner. Sans eux, il serait difficile de maintenir une hiérarchie par l’argent assimilé au mérite, comme d’établir une hiérarchie des valeurs, dont le chômeur est le premier échelon.

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Toujours au siècle dernier, le travail a pu être détaillé en fonction de son intérêt et du choix en toute liberté d’une profession. Entre le travail choisi et la contrainte de travailler, il y a cent manières de le considérer comme un enrichissement moral et pécunier venant récompenser le travailleur ou comme une terrible nécessité niant les dons et les qualités de celui qui y est astreint, poussé par la nécessité qu’il est, de gagner son pain de n’importe quelle manière, y compris la pire.
On n’ose plus s’élever contre le travail à la chaîne. Le geste sempiternellement produit dans la cadence d’une chaîne de montage, et pas seulement, l’emploi de magasinier chez de grands distributeurs et d’une certaine manière tout ce qui est répétitif et donc peu enrichissant intellectuellement, dans son ensemble fastidieux, ne sont plus classés dans des métiers « décérébrant », pour la simple raison que la nouvelle posture libérale les célèbre dans le processus de la robotisation générale du travail.
Le travail continu a quelque chose de bête comme le repos, écrit Jules Renard. Il neutralise le travailleur dans une sorte de routine qui ressemble au sommeil sans rêve où il ne se passe rien. Mais à l’inverse du sommeil qui est une réparation des efforts commis, le travail continu est d’une absolue cruauté pour la fatigue qu’il engendre et les dégâts qu’il suscite chez le travailleur qui pense indépendamment du travail qu’il produit.
Ce siècle, à l’inverse du précédent, devait être celui des services et des techniques. On aura compris le sens que cela implique, les élites se réservant les techniques et le gros de la population, les services.
En 2023, tout ce qui se rapportait aux travail dans ses spéculations humaines, ses dépendances et ses aperçus philosophiques ont complètement disparus des discussions des partis et même des syndicats. On ne peut même plus dans certains cas critiquer des conditions de travail d’une entreprise peu scrupuleuse des lois, mais qui compterait des dizaines d’employés et ouvriers.
On dirait que l’absolue nécessité de travailler dans des conditions pas toujours normales, avec des salaires peu gratifiant a complètement effacé les critiques frappées du coin du bon sens au siècle dernier. Elles apparaissent comme un ramassis de paroles en l’air servant la cause des fainéants.
Le tragique du travail obligatoire à défaut d’un travail recherché comme « intéressant » touche encore comme jadis et de la même manière brutale des dizaines de milliers de travailleurs, mais il est quasiment interdit de se plaindre et de critiquer.
Sacha Daout n’a pas inventé l’émission qui met l’animateur au centre du jeu, mais il en a compris le mécanisme. Il distribue la parole, coupe quand ça lui chante, assuré que le responsable qu’on ne voit pas de la RTBF aura choisi les bons clients qui disent juste ce qu’il faut pour passer une bonne soirée à l’heure (10 heures) où la somnolence prend le téléspectateur.

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