« Comment désarmer le ministère des armées ? | Accueil | Un assassinat tiré par les cheveux »

Il était une fois l’Amérique

Quelque part, nous sommes tous orphelins de l’Amérique.
Une Amérique telle que nous l’avons rêvée, jusque très tard dans notre adolescence.
Une Amérique du prodigieux, avec ses grosses voitures et ses camions nickelés sur la 66, ses villas de Malibu et ses baigneuses aux longues jambes, ses ponts suspendus, les Rocheuses et le Grand Canyon. Nous savions que tout cela ne pouvait être que clichés et propagande, mais que cela existait vraiment puisque ce monde fascinant était immortalisé sur pellicule. Et, en fait de pellicules, n’avions-nous pas Hollywood et Sunset boulevard ? New York et Manhattan, si bien filmés par Woody Allen ? Oui, nous aimons cette Amérique-là qui fait clinquant, qui fait bazar, qui fait tout ce qu’on voudra mais qui nous a valu Glenn Miller, « Cherokee » de Count Basie… et 25.000 GI morts qui reposent en paix au cimetière de Neuville en Condroz, rien que pour notre région.
La jeunesse est enthousiaste et elle prend pour argent comptant tout ce qu’elle lit et tout ce qu’on lui raconte. Il ne s’est pas manqué des laudateurs de l’Amérique et pour ceux qui avaient moins de vingt ans dans ces années-là, il n’y avait pas grand-chose à dire pour les persuader que c’était cette Amérique de l’action et du bonheur facile qu’ils copieraient dans le futur.
Les responsables allaient dans leur sens. Nous épousions la politique de la plus grande démocratie du monde, nous en étions les clients et les fournisseurs. Nos meilleurs enfants allaient y travailler et revenaient en Stetson et Santiag, des dollars à près de cinquante francs pièce plein les poches.
La Belgique, déjà mondialiste et ultra libérale sous les dehors conventionnels d’une politique sociale de gauche, se laissait aller à rêver. Le journal La Meuse titrait « voilà comment nous serons dans vingt ans » sous l’égide d’un Gabriel auquel la Direction passait tout devant la réussite financière.
Le patronat avait pour la forme des gestes de mauvaises humeurs vis-à-vis d’une gauche qui s’équilibrait entre les socialistes, les plus nombreux, et les communistes parmi lesquels on amalgamait les maoïstes et les trotskistes. Mais c’était une mauvaise humeur amusée, de façade, pour ne pas lâcher trop de sous aux personnels, tant il était certain que le raz de marée économique venu des States ne pouvait que mettre tout le monde d’accord au volant de voitures neuves, et à l’abri de maisons individuelles avec jardinet et garage au bout de l’allée.
C’est à ces années-là que l’on doit le lent décalage entre le passé d’un syndicat issu de la charte de Quaregnon et l’actuel bureau des faillites du chômage des pas de chance. On ne savait pas qu’en démolissant la Populaire dans le cadre d’un nouveau Liège, que toute une tradition de la gauche serait fichue par terre et qu’on allait passer d’Emile Vandervelde à Elio Di Rupo. C’est-à-dire d’un mouvement anti-capitaliste et contestataire à un mouvement collaborationniste du capital. Tout ce glissement des valeurs résultait de la seule force d’attraction d’une Amérique triomphante. Une irrésistible soif de vivre « comme eux » saisissait les gens d’en haut, comme les gens d’en-bas, à la différence que les gens d’en bas allaient faire l’appoint pour que seuls les gens d’en-haut y parviennent. C’était un marché de dupe dont nous ne finissons pas de payer les conséquences.
Ce sont les écologistes, puis, petit à petit, les mouvements comme Green Peace jusqu’aux antimondialistes qui ont émis des doutes sur le formidable modèle, montré que ce standing américain tant convoité n’était possible que parce qu’il y avait trois milliards d’hommes dans la misère et que ce n’était qu’à l’aide d’un pillage continu des richesses de la planète que cet « american way of life » était possible. Le ratage au Vietnam et le mouvement hippie avait il est vrai permis aux plus vigilants de se démarquer dix ans auparavant, anticipant sur les économistes comme Galbraith et les journalistes comme Hubert Beuve-Méry, et permettant à des philosophes comme Pierre Bourdieu d’asseoir toute une théorie sur le caractère prédateur de l’impérialisme américain qui se vérifie de nos jours.
C’était un langage dur, mais de vérité.
Mais voilà, toute la politique européenne en matière économique tient essentiellement dans la crédibilité du modèle américain. Ils sombrent, nous sombrons !
Malgré leurs gestes de mauvaise humeur à l’affaire irakienne et leur semblant de liberté de parole qui s’en est suivi, nos gouvernants n’ont aucune politique de rechange. Si bien que nous assistons à cette chose étrange d’un gouvernement qui ne croit plus au modèle américain mais qui est incapable de revenir en arrière et qui s’associe avec le monde de la banque et des industries pour faire passer le credo à seule fin de ne pas décourager les masses à poursuivre un rêve, qu’ils savent bien à jamais impossible.
C’est que l’homme de la rue, mal informé, peu accessible au raisonnement, fâché contre les écolos depuis l’affaire de Francorchanps, malgré son salaire qui ne progresse plus, malgré le chômage qui va croissant, dans sa lutte âpre et sans issue du quotidien, a besoin de croire encore à l’Eldorado !
Il ne sait pas, l’homme de la rue, que plus son rêve se prolonge, plus vite ira-t-il au cauchemar. Plus il croit ce que les politiciens lui racontent, plus il croit aux nécessaires sacrifices qui déboucheront sur des progrès du type américain, moins il lui reste de temps avant que tout ne s’écroule.
C’est qu’à notre porte, les gens à qui on a tout pris depuis longtemps, ne font pas la distinction entre nous – gobeurs de mouches – et les vrais profiteurs exclusifs, nos « amis » américains. Certes, ceux-ci ont la plus forte et la meilleure armée du monde, à nulle autre pareille. La démocratie croit-elle pouvoir s’imposer chez les autres à coups de canon ?
Tout le long passé de l’histoire du monde nous démontre que jamais aucune puissance n’a pu se maintenir au premier rang en tapant sur les autres.
Si nous avons encore ce vieux réflexe qui fait référence à nos amis américains pour ce qui concerne la vie en démocratie, les autres qui ne l’ont jamais eu, ne vont pas commencer à rêver chez eux d’un tel système, maintenant qu’ils sont menacés, voire occupés par ces Américains qui pour eux descendraient tout aussi bien de la lune.
On a vu le communisme s’effondrer spectaculairement en un an. Ici, on a applaudi « la victoire » de la démocratie, alors qu’il ne s’agissait que de la défaite d’un régime qui s’est délité par dégénérescence et accaparement des biens par son « élite ».
Le système capitaliste « triomphant » est sur la pente savonneuse justement pour les mêmes causes. La dernière touche à l’édifice avant que tout ne s’effondre et se dérégule, c’est cette irréversible mondialisation que tout le ponde regarde sans pouvoir contrôler le processus, voire l’interrompre par un plan opposé.
Nul ne peut empêcher la désagrégation finale, car ceux qui le pourraient sont justement ceux qui en profitent le plus, les autres, politiciens ou hommes du peuple, ne sont que des spectateurs aussi impuissants qu’ils sont impotents d’avoir trop longtemps cru que le dieu dollar allait les sortir de leur fauteuil de paralytique et leur dire « lève-toi et marche ! »
Non seulement, ils ne se lèveront pas – c’est beaucoup trop tard – mais ceux qui y croiront jusqu’au bout et qui se lèveront, se casseront la gueule au tournant de l’histoire.

Poster un commentaire