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Une déclaration.

Que la couleur de tes yeux illumine l’ombre et la suie, la pluie et le grésil.
Nous allions par la rue et j’avais pris ton bras. Tu avais un de ces chapeaux noirs qui enveloppe le visage et l’encadre plus qu’il ne couvrait tes cheveux courts.
Le désir intimidé adorait une beauté présente comme la photo d’un magazine, à la fois inaccessible et mobile.
Nous avions la démarche lente de deux amoureux dans un parc au printemps.
Tu avais vingt ans et j’étais immortel.
L’arc de tes lèvres enchâssait une bouche immense à force d’être petite, tant je la fixais.
Ta poitrine comme une proue fendait le flot de la nuit.
Comme les gens attentifs que nous quittions ne savaient pas aimer… Nous n’avions plus rien à leur dire.
Mon rêve te suivait dans un étroit corridor où dansaient tes hanches.
Les lampes dures municipales organisaient le noir autour de nous.
Comme les choses simples prennent les manières de l’amour quand ceux qui les vivent s’aiment…
Le chemin menait à ta voiture, le boulevard était désert.
Ailes de papillon, tu posas tes lèvres sur les miennes. Et ce fut tout avec le bruit du moteur, les phares qui s’allument et le bitume devant qui te reconduit d’où tu es venue, tes hauteurs adverses.
Tout le monde écrit. Les blogs sont à la mode.
Mais l’immortalité dérisoire des mots jetés dans l’espace théorique n’atteindra personne d’autre que toi. Dès que tu t’apercevras qu’ils ne sont écrits que pour toi, ce sera comme une gerbe de feu qui descendra du ciel un 14 juillet.
Il suffira d’un signe. Je saurai que tu sais. Et cela conviendra aux amoureux de la planète.
Pourquoi vivre, si ce n’est pour le reflet de moi dans l’éclat de tes yeux ?
Nous changerons la vie par le changement des modes, et non pas en les vivant. Ta grâce intemporelle se défera des plus beaux vêtements contre la plus belle parure qu’il m’ait été donné de voir, celle de la nature.
Les philosophes gagés des mécènes enrubannés ne sont que les snobs d’une Société abhorrée.
Toi, tu es l’infini des contes et ma philosophie s’arrête au pied de ton lit. Je vois seul ton reflet dans les boules de cuivre des décors de ta chambre. D’autant plus que j’ignore comme ils se prêtent à tes langueurs… attendu que je ne les connais pas ! Et la forme de tes draps et les portes agitées de tes portemanteaux sont autant de mystère plus qu’un lointain gynécée.
Que n’exige-t-on des raisons de vivre qui n’ont que le mot amour dans leur lexique !
Y a-t-il des passions de vivre qui existeraient sans toi ? Des instincts de vie sans ta vie et des forces sans ta force ?
L’avenir est au passé, mon cas est sans appel. Ma vie est à l’envers. Elle commence à ma nuit.
Et pourtant, le désir est une garce fidèle qui vous tenaille jusqu’à la dernière goutte de ce sang répandu par tant d’épanchements d’autres vies, que le dernier désir, enfin, paraît enseveli sous les décombres de l’âme.
Ce jeune et farouche animal qui se cabre et s’ébroue, c’est toi Perdita, le devines-tu ?
Cela m’est arrivé de voir venir à moi, une de ces jeunes filles sans lesquelles la vie s’étonne et s’efface. Jamais encore je ne fus saisi d’une telle débauche de sentiments et de renoncements mêlés.

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Mais, mon passé rejoignant un présent misérable, vieux comme Florence, j’assiste sans rien dire au miracle des marbres. Je suis en arrêt devant ce marbre d’un Donatello dont je feuilletai l’œuvre, jadis, à la terrasse du Café Rivoire, place de la Seigneurie à Florence. C’était un temps neutralisé, puisque je ne te connaissais pas. Je t’espérais seulement. Je ne savais pas que j’écrirais pour toi la saga d’un sacrifice, d’une exigence. J’ignorais tout ce qu’endurerait Céline, l’héroïne qu’inventa l’auteur à l‘auteure attaché. Et pourtant cette beauté latente qui venait de l’Arno était en ce temps-là, ce que le fleuve n’est plus, pur et sans les immondices qu’on voit d’une boutique du Rialto, alors qu’en dessous, les eaux noires se tordent sur les cailloux lourds comme des crimes. Oui, en prémices du jour où tu m’es apparue, Florence était alors presque aussi belle que toi. De la beauté pure du Printemps des Offices, tu étais à « commesso » une œuvre en devenir. J’assemblerais un jour les pierres dures en forme de fleurs auxquelles tu ressemblerais. Les beautés, ô ma douce, sont intemporelles.

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