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Une fausse émotion irrationnelle.

Les auditions publiques suite au fiasco de l’affaire d’Outreau continuent à faire des remous en France, comme les auditions publiques suite à l’affaire Dutroux en avaient fait en Belgique.
Aussi curieux que cela paraisse, ce sont des journalistes français qui s’émeuvent. Ils ne supportent pas l’idée que le peuple se mêle de ce qui le regarde.
Un des ténors des goualantes radiophoniques, Elkabbach en personne, le dit clairement : « …le risque de retransmettre toutes les auditions en direct était de provoquer une émotion irrationnelle. Il fallait donc compléter cette opération avec des analyses et des réflexions plus à froid. ».
Ah ! que c’est beau se souci d’éviter des écarts de langage de l’auditeur sous la pression d’émotion irrationnelle ! Ne serait-ce pas plutôt la frousse, comme en Belgique, que le citoyen ordinaire découvre que « les gens du dessus » ne sont pas infaillibles et pourvus d’une super intelligence, comme le croient encore des péquenauds béats d’admiration pour un ensemble de personnes trop bien considérées et payées et parmi lesquelles il y a de gros cons !
Heureusement les chaînes et les journaux sont là pour nous éclairer et nous empêcher d’avoir des jugements à l’emporte-pièce. Car, après les ondes de choc provoquées par l'instruction de l'affaire d'Outreau, puis par les deux procès d'assises, tellement bien exposés par la presse tout entière que, si on l’avait écoutée, on aurait remis la guillotine en état.
Changement de décor : pour les acquittés de Paris, la retransmission télévisée de leur témoignage bouleversant, prenant à témoin l'ensemble des Français risque d'avoir des conséquences graves, et pas seulement sur la justice. Aussi conviendrait-il que les éclairants personnages de la société démocratiques que sont les gens en place des journaux, radios et télévisions donnent une dimension civique, pédagogique et politique, avant sa dimension médiatique.
On a bien lu : pour une fois l’audimat s’efface devant la dimension civique ! Ces braves gens reculent devant leurs parts de marché pour leurs parts d’altruisme. Personne de ce joli monde ne méconnaîtrait donc plus le côté pédagogique du métier d’informer, essentiel à l’épanouissement du lecteur, de l’auditeur ou du téléspectateur moyen…
Fi de ces loups qui pour une part de marché auraient vendu père et mère… les voilà devenus bergers…
Comme quoi, la chiasse se partage bien dans les hautes sphères rien qu’à la pensée que le peuple saoulé par l’émotion ne rechante une version moderne des « aristos à la lanterne » » !
Cette retransmission prend des allures de catharsis sociale, se félicite un cabinet d’avocats qui propose ses services aux magistrats mis en cause.
En Belgique, on a entendu à peu près le même langage, sauf que les Français ne savent pas encore que saoulé de travail, de misère, abêti par la société de consommation, la chronique des sports et les discours de nos grands hommes, les Belges se sont rendormis après le show de la Commission d’enquête parlementaire suite à l’affaire Dutroux. Retombée comme un soufflé, la colère, le stress, l’émotion. Ça se sentait déjà à la marche blanche à Bruxelles. Les 300.000 traînaient les pieds. Le cœur n’y était déjà plus.
Elkabbach s’est excité pour rien. Mieux, à TF1, le directeur de l'information, Robert Namias, ne cache pas qu'il envisage de diffuser en direct l'audition du juge, comme s’il était un pionnier de la vérité.

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En France, ce sera pareil qu’en Belgique. Ils peuvent retourner à leurs audimats, leurs discours conformistes. Les lieux communs refleuriront sur les ondes et bouleverseront le Français moyen. Ce n’est pas encore demain la veille qu’on verra des changements. Personne ne perdra son emploi dans les hautes sphères.
Difficile pourtant de ne pas s'identifier aux acquittés qui témoignent, y compris d'ailleurs pour les députés, qui trouveront là matière à réfléchir sur les conséquences des lois qu'ils votent.
"C'est comme pour la crise des banlieues » s’enthousiasme Dominique Wolton, chercheur au CNRS « on est enfin obligé de regarder la réalité en face". Ceci dit, cette fine rapière de la conscience collective rassure immédiatement ses pairs Il ne redoute pas un lynchage du juge Burgaud par les médias : "Ils jouent leur rôle. En démocratie, un pouvoir a toujours besoin d'un contre-pouvoir. Et il faut faire confiance à l'intelligence populaire."
Voilà, tout est dit. Chacun est dans son rôle : les députés s’étonnent, ils n’étaient pas au courant. Les journalistes rassurent, ce n’est pas grave. Ils assument le contre-pouvoir. Le contre-pouvoir, c’est comme le pouvoir, il est tout contre. Ils contrôlent bien le mental des lecteurs. Enfin les acquittés, ils devraient s’estimer heureux de l’avoir échappé belle. Quant aux gens du peuple, il faut leur faire confiance, entre les coups, ils boiront des bières et regarderont Paris-Saint-Germain et l’Olympique de Marseille marquer des goals.
On a, évidemment, l’exemple de la télé aux States. Les commissions d'enquête retransmises en direct à la télévision pleuvent sur toutes les chaînes, de McCarthy à l'affaire Enron, en passant par l’affaire des pipes dans le bureau ovale de Clinton, sans oublier la fameuse commission Warren sur l'assassinat de Kennedy qui a réussi le tour de force d’embrouiller tellement les pistes que les assassins courent toujours.
C’est beaucoup plus dangereux pour le pouvoir de filmer des flics qui tabassent des Noirs dans les faubourgs de Los Angeles.
Alors, la révolte de la banlieue française, c’est déjà du passé, voyons. C’est même tout profit pour Citroën, Renault et Peugeot. Les acquittés d’Outreau ? Connais pas…

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