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Une question d’heure.

-Quelle heure as-tu ?
-Je ne sais pas.
-Regarde à ta montre.
-Je ne l’ai pas mise aujourd’hui…
-A cause de toi, on ne sait pas l’heure qu’il est.
-Bah ! ce n’est pas important.
-A quel moment dois-je mettre le poisson au four, si je ne sais pas l’heure ?
Et les pommes de terre ? Pour le riz, c’est quand l’eau bout, c’est plus facile.
-C’est comme tu dis.
-Ce serait plus simple si tu avais ta montre.
-Oui.
-Quoi, oui ?
-Oui.
-Tant pis. Nous mangerons le poisson sans qu’il ait été au four.
-Pourquoi le four ?
-C’est meilleur quand il est réchauffé avec la sauce blanche.
-C’est comme tu dis.
-On n’est plus sûr de rien, quand on n’a pas l’heure. C’est ainsi qu’à la gare Centrale, le drame de la semaine dernière ne serait pas arrivé si on n’attendait pas dans le hall central des heures entières avant de prendre le train.
-On ne prend plus le temps de rien, sauf d’arriver trop tôt dans les gares.
-C’est certain depuis que les gens ne savent plus l’heure. Ils ont peur d’arriver en retard et voilà le résultat. Madame Barnaby m’a certifié qu’un malade en avance a été opéré pour un autre !
-Ah bon !
-Heureusement que la jambe artificielle que l’on avait préparée pour l’autre était prête.
-Ils avaient la même taille ?

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-Non. il boitera un peu, c’est tout. Rentrer chez soi à cloche pied, cela aurait été pire.
-Et l’autre ?
-Quel autre ?
-Celui qui devait être opéré ?
-Il l’a échappé belle. On avait confondu les radios et il n’avait pas la gangrène. Rien ne serait arrivé, si chacun avait respecté les heures de rendez-vous. J’en ai parlé à ma coiffeuse. Elle est entièrement d’accord avec moi.
-Alors…
-Si tu n’as pas ta montre au poignet, elle est bien quelque part ?
-Sur la table de nuit, comme depuis quarante ans.
-Pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ?
-Oui.
-C’est rassurant de savoir l’heure.
-Bof…
- Combien de fois ma coiffeuse réserve un fauteuil à une cliente qui n’arrive pas et quand elle arrive, parfois c’est après la cliente suivante.
-Elles s’asseyent à deux sur le siège ?
-Non. Mais c’est toute une histoire de faire patienter celle qui était en retard en attendant que la suivante, passée avant, s’en aille. Il est arrivé qu’une cliente en retard, dise après que la suivante ait pris sa place « je repasserai dans une heure ».
-Bon.
-C’est arrivé une fois. La cliente revenait et crac, une voiture l’a renversée.
-Oui.
-Ma coiffeuse était furieuse !
-Furieuse ?
-Elle n’a su sa cliente morte que quinze jours plus tard ! Je t’assure qu’elle a râlé pendant deux semaines. Après, elle s’est calmée, en faisant remarquer à tout le salon que si sa cliente était arrivée à l’heure, elle ne serait pas morte. Et ma coiffeuse n’aurait pas perdu une cliente. D’autant qu’elle ne venait que pour un coup de peigne.
-Un coup de peigne.
-C’est comme je te le dis. Une affaire d’à peine trois quarts d’heure.
-Trois quarts d’heure pour un coup de peigne ! Comment peut-on savoir qu’un coup de peigne dure trois-quarts d’heure ?
-Parce que c’est le temps qu’il faut pour le poisson au four.
-Donne-toi un coup de peigne, et mets le poisson au four.

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