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La rue Félicien Content ?

Vous connaissez la rue Félicien Content ?
Il y a très longtemps que je la connais sans savoir comment cela m’est venu à l’esprit !
J’ai cherché partout dans les répertoires des villes et communes. Je n’en ai trouvé la trace nulle part. Evidemment le monde est vaste. Il se pourrait même, malgré des consonances francophones, que cette rue soit en Espagne, au Venezuela, en Afrique anglophone, que sais-je ?
Je me suis naturellement intéressé à Félicien Content lui-même. Il devait être quelque chose comme ophtalmologue. A cause de l’opération de Salmisch dans le traitement de l’hypopion. Ne me demandez pas d’où je tiens cela, mais c’est ainsi. Je sais même les deux dates avant et après lesquelles nous ne sommes plus rien : 1897- 1962, pour notre homme.
Félicien Content aurait traversé deux guerres. Peut-être se serait-il illustré à la seconde ? Mais alors, pourquoi ophtalmologue ? Qui aurait décidé que la rue porterait ce nom pour faits de guerre ou pour service rendu à la science ?
Des généalogistes m’ont dit avoir relevé beaucoup de Content sur les pierres tombales de l’ancien cimetière d’Amay. Je suis allé vérifier. Je n’y ai relevé aucun Félicien aux dates indiquées.
Je trouve cette rue d’une grande banalité à chaque fois qu’elle me vient à l’esprit.
Toutes les maisons se ressemblent, avec leurs jardinets avant l’entrée, leur unique étage et leurs deux fenêtres, l’une au-dessus de l’autre, sauf le 23 bis.
Le 23bis n’est pas à rue. Coincé entre le 23 et le 25, un étroit passage, probablement inconnu des deux maisons, voire de la rue entière, relie le 23bis à la voirie municipale. Il n’y a aucune indication de l’existence de ce 23bis à front de la rue Félicien Content. On ne sait pas si elle existe. Le facteur n’y apporte aucun courrier. Comment le pourrait-il ? Le passage n’est pas visible à cause d’un Lilas qui, du 23, s’étale au-dessus de la parcelle du 25 en masquant l’étroit chemin.
Pourquoi le sais-je ? Mais qui connaît la rue Félicien Content, à part moi ? Et pourquoi pas le 23 bis par la même raison ?
On ne peut interroger personne ni sur l’origine du nom de la rue, ni sur le 23bis, ni même de la langue que parlent les habitants, pour la simple raison que je n’y ai jamais vu âme qui vive, tout au long de mes promenades.
Car, j’y retourne souvent. On serait intrigué à moins.
Le lilas aux belles fleurs mauves qui masque le 23 bis est exceptionnellement touffu et chargé de fleurs en grappes serrées. Je ne l’ai jamais vu que fleuri, même en hiver. Il n’y a pas de saison pour lui. A la réflexion, la rue ne peut être en Afrique, comme me l’avait suggéré auparavant le mystère qui l’entoure, à cause des frimas.
Quand je dis que je n’y vois personne, en réalité ce n’est pas tout à fait exact. Certains jours, un enfant en trottinette coupe la rue à la transversale, là où se devine un carrefour avec d’autres rues et d’autres maisons.
Je lui ai fait de grands signes. Il regarde de mon côté, mais il continue de pousser sa trottinette de la jambe gauche, sans s’arrêter.
Depuis, nous nous ignorons. Sauf qu’il fait tinter un grelot en me voyant, dring dring…

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Un soir de pleine lune, on y voyait comme en plein jour. Il me sembla voir à travers le feuillage du lilas, au bout du passage, la lueur jaunâtre du fanal de la dernière voiture d’un train. Le 23bis serait-il une gare ?
Sans vraiment réfléchir aux conséquences de ma témérité, j’écartai les branches de lilas et me frayai un chemin, entre les murs du 23 et du 25.
Des gouttelettes d’un liquide sucré coulaient des calices des petites fleurs mauves. En écartant les rameaux de l’arbuste, mes mains en furent imprégnées. C’était comme une colle odoriférante qui fusionna mes doigts.
Au bout du passage, une porte basse peinte en rouge sang de bœuf, m’arrêta. Une main malhabile y avait écrit 23bis à la craie. Je la poussai, elle ne résista pas, mais je dus littéralement en arracher mes doigts soudés. Si bien qu’il en resta deux ou trois collés à s’agiter comme les annélides dans le sable des littoraux.
Le fanal, celui que j’avais cru accroché à un wagon était posé sur le seuil. Je le pris et j’entrai.
Sans qu’il n’y eût aucun être vivant de ma sorte, tout le mobilier, les tentures, les rideaux et les draps jetés sur les tables, jusqu’aux housses des fauteuils, semblaient appartenir à l’espèce humaine. Des rideaux gris se terminaient par des ombres la tête en bas, des lèvres remuaient au moindre souffle de vent, dans les plis extravagants de l’étoffe.
Les quatre pieds de la table, étaient des jambes qui, des cuisses aux hanches, suggéraient le début d’une nature callipyge.
Au lieu d’être épouvanté de ce spectacle inusité, il me sembla l’avoir toujours su.
« Objets inanimés, avez-vous donc une âme, qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? », furent les mots de deux alexandrins que je dis d’un ton respectueux, que sembla apprécier le mobilier.
Je m’assis sur la tablette d’un fauteuil chippendale.
Je fondais et je ne m’en étais pas aperçu ! J’avais perdu mes mains, tandis que mes jambes s’intégraient à une console en marqueterie de Venise.
L’envie d’entrer dans un tableau de pierres « a commesso » fut la dernière chose qui me troubla, avant d’arriver à un état de grande tranquillité.
La suite alla de soi. J’entrepris une conversation avec un gros monsieur qui fumait une pipe longue comme un fusil à pierre dans le décor d’un bahut flamand.
Dehors, la lune offrait ses services en remplacement du soleil. L’atmosphère était celle d’un dimanche à l’ancienne, quand submergé par l’odeur d’encaustique et le battement de cœur d’une horloge à pied, je m’endormais assis sur mon petit banc, la tête sur les genoux de mon grand-père.
Je ne sais pas toujours où trouver la rue Félicien Content. Mais, j’y retourne !

Commentaires

La quête de la rue Félicien Content, comme la quête du Graal! Continue, Richard III! Tu finiras par y découvrir ta vraie nature!

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