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On est baisés !

Notre société occidentale s’est débarrassée du postulat de la lutte des classes. Ayant constaté qu’elle est toujours d’actualité dans la construction sociale, je me suis demandé pourquoi cet abandon ?
Peut-être me suis-je égaré dans des considérations personnelles, ai-je eu des raisonnements faussés par une excessive sensibilité dans le décompte de tout ce qui touche injustement le citoyen du bas de l’échelle ?
Déjà cette image d’échelle n’inclut-elle pas des échelons à gravir, une sorte de lutte sourde selon que l’on soit en haut ou en bas, mais qui serait plus liée à l’individu plutôt qu’au groupe dont il est issu ?
Qui dit lutte des classes et sociologie doit nécessairement penser à Max Weber, qui, mieux que Marx, reste toujours au cœur du sujet.
Weber distingue trois classes :
1. la classe des possédants positivement privilégiés ;
2. la classe des négativement privilégiés ;
3. les classes moyennes.
La première se décompose en deux parties :
a. les rentiers
b. les entrepreneurs, les banquiers, les professions libérales.
La deuxième est aussi divisible par deux :
a. la classe de possession négativement privilégiée, c'est-à-dire les déclassés (proletarii au sens ancien), les débiteurs et les pauvres ;
b. la classe de production négativement privilégiée : les travailleurs qualifiés ou non.
Entre ces deux pôles s’intercalent les classes moyennes, soit les paysans, les artisans, les fonctionnaires et les employés de commerce.

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Ce schéma général n’a guère évolué, si l’on excepte certaines modifications dans la première classe où les professions libérales ne sont pas toutes génératrices d’aisance.
Certaines catégories d’artisans et de paysans, de la classe moyenne ont basculé dans le prolétariat. On constate même un effondrement de cette classe moyenne, tandis qu’une catégorie émergente de fonctionnaires européens et de politiciens atteignent aux catégories supérieures.
Par contre, celle qui reste étonnamment stable dans sa misère, c’est la classe de possession négativement privilégiée.
Je vous ferai grâce des desiderata de Max Weber qui justifient son classement et ses choix. Pour ceux que cela intéresse, comme il n’existe pratiquement pas de traduction en français de l’œuvre de Weber, ils peuvent lire « Max Weber et l’histoire » de Catherine Colliot-Thélène, ainsi qu’un article de Raymond Aron dont, malheureusement, je ne me souviens plus du titre.
L’œuvre philosophique de Weber est à considérer avec sérieux en 2007.
Les individus ont des chances inégales d’accéder aux biens. A de rares exceptions, les qualités physiques et intellectuelles n’entrent pas en ligne de compte pour disposer des biens. Cet accès est défini par la situation de classe de la personne.
La classe sociale est constituée d’un ensemble d’individus qui se trouvent dans la même situation de classe. La situation de classe se ramène à la situation de marché. Ce sont les chances d’accès aux biens matériels dans le cadre d’un marché au sein duquel les individus entrent en compétition comme échangistes, qui fournissent le critère essentiel de la classe.
Quittons la théorie, Max Weber et tous les plus beaux raisonnements du monde.
Demandons-nous pourquoi le parti socialiste, censé représenter les non-privilégiés, a abandonné le principe de la lutte des classes ?
Il y a quand même quelques raisons émergentes à cette question. La première, c’est une évidence, la gauche modérée s’est convertie au système capitaliste. Cependant que la condition des électeurs qu’elle était censée défendre ne s’améliorait qu’en partie pendant les 30 glorieuses, pour redescendre – elle n’a pas encore touché le fond – vers sa condition misérable antérieure. La deuxième, cette conversion impliquait une collaboration au système capitaliste avec en contrepartie un gauchissement de la politique économique. A mon sens, elle ne s’est pas opérée. Mieux, au niveau européen, elle s’est durcie sur sa droite. La troisième, une amélioration a été perceptible – elle est de taille – elle s’est produite parmi les personnels politiques dont les conditions de vie et de rémunération se sont modifiées en acceptant d’abandonner la lutte des classes et en intégrant l’organisation de la société dans le cadre du système capitaliste. Est-ce le seul fait d’être politiquement intégrés de ces personnels qui prévaut aujourd’hui pour le statu quo de la classe non-privilégiée dans le système capitaliste ?
A décharge, la classe perdante a été soigneusement retournée contre elle-même par la propagande de droite, au point que ce serait suicidaire de la part d’un parti de la gauche collaborationniste de quitter le pouvoir sur la pointe des pieds pour retrouver ses sources premières.
A vous de juger. En attendant, admettons-le, les privilégiés nous ont bien eus !

Commentaires

Nous nous sommes bien eus nous-mêmes aussi! Il n'y a pas forcément besoin des autres pour cela!
A une personne d'origine asiatique qui me vantait la supériorité des philosophies orientales et du bouddhisme en particulier, j'ai fait remarquer que toute cette belle culture ancestrale a été balayée comme fétu de paille, en Asie même, dès qu'on a fait miroiter à la population la possibilité d'accéder aux joies de la verroterie, du dollar, du GSM,..! En même temps, c'est une confirmation de la seconde noble vérité qui veut que le désir et la soif de posséder soit à l'origine de la souffrance universelle!
C'est la même chose chez nous. Le système capitaliste est fondé sur l'exacerbation des penchants les plus nuisibles (l'instinct de possession)de la population. D'où le désintérêt pour la culture qui seule nous permettrait de sortir de l'ornière.
Il y a donc un double effort à fournir: le premier, un effort d'attention sur soi-même destiné à se rendre clairement compte de ce funeste enchaînement, le second, de mettre en oeuvre des garde-fous légaux destinés à contrecarrer la liberté d'action des capitalistes avides qui nous entourent (les gros, les moyens et les petits car un ouvrier qui devient petit patron est souvent le plus infâme des Thénardier!). Commençons par limiter légalement et fiscalement la publicité (pas seulement la mensongère) et tout mécanisme qui favorise la diffusion de l'instinct de consommation. Cela suppose probablement un changement de régime politique. Et c'est là que je te rejoins dans la critique du socialisme mou.

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