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Un musée virtuel à Bruxelles

- Vous êtes dans le palais des Illusions. Vous avez devant vous le siège du gouvernement rue de la Loi. Vous voyez le bâtiment. La double porte blanche entrebâillée, le policier devant et vous pouvez distinguer la frêle silhouette d’une vice-première sortant de sa grosse voiture, des fardes sous le bras. Elle s’avance sur le trottoir d’un pas résolu qui se voudrait décisif, mais où se devine la contraction freinante de la cuisse héronnière, puisqu’elle n’a pas l’intention de s’engouffrer sous le porche sans s’arrêter, mais, au contraire, offrir son profil gauche à la caméra de la télévision. Elles sourit à son habitude. Vous posez la question du jour. Elle vous répond et comme il se doit, sa réponse n’apporte aucun éclaircissement. Cependant, tout le monde est ravi, elle la première.
Eh bien ! Mesdames et Messieurs, tout est faux. Vous êtes dans le royaume du trompe-l’œil. Vous passeriez le cordon de protection, vous vous approcheriez davantage, vous vous apercevriez qu’il n’y a pas de rue de la Loi, que le policier n’est qu’une composante d’un éclairage savant et que la vice-première n’a rien sous ses amples jupes qu’une subliminale astuce, un trou noir électromagnétique...
A gauche vous avez une séance d’un tribunal. On y juge un entrepreneur du bâtiment qui faisait travailler des Hongrois en noir. L’un d’entre eux est mort en tombant d’une échelle. On n’a jamais retrouvé son corps. On pense qu’il a été coulé dans le béton de la pile Sud du nouveau pont construit spécialement pour l’arrivée du TGV gare centrale. Personne n’a envie de démolir l’ouvrage d’art pour avoir la preuve de sa parfaite résilience. Ainsi l’entrepreneur sera relaxé et condamné seulement à 120 euros d’amende pour défaut de port de casque. Nous avons introduit un gadget amusant pour les enfants. Quand on appuie sur le nez du juge, l’appendice devient rouge. Pour les autres, la scène est vivante. Les avocats bougent, s’émeuvent, font des gestes larges. Le juge s’assoupit. Les assesseurs semblent effondrés devant l’ampleur des faits, l’évidence du crime. Cependant tout s’éclaire à la sentence. Même l’entrepreneur un instant angoissé fait tourner sa grosse bague en or de l’auriculaire gauche avec le pouce et l’index de la main droite. Pour rendre la scène plus saisissante encore, sur un signe, tout disparaît et que voyez-vous ?... le cabinet de toilette privé du procureur général. Un zoom sur le vase et sous le rebord, une ligne brunâtre signale à la technicienne de surface que la merde collante s’extrait aussi bien du postérieur d’un ouvrier de Chertal, que d’un procureur du Royaume.

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Vous êtes à présent au milieu d’une foule de faux chômeurs. 4000 exactement. Trois entonnoirs placés en retrait simulent les filières. 400 d’entre eux sont auditionnés par le service anti-fraude de l’ONEm. Les 400 ont l’air confiant. Les 3600 autres sont consternés. Pourquoi ? Parce qu’ils n’ont pas vu les fonctionnaires qui vont les auditionner et qui ressemblent étrangement aux fonctionnaires qui leur ont fourni moyennant 100 euros par fiche de paie et jusqu'à 350 pour le document C4, les documents nécessaires afin qu’ils perçoivent les allocations adéquates. Ici, vous êtes au cœur d’un trompe-l’œil en trois dimensions. L’illusion est parfaite Par les trois entonnoirs vous distinguez des créatures qu’on ne trouve que sur les pages des magazines, fins escrocs, émules de Stavisky, baron de Crack et belles de salon d’avenue Louise. Rien que du beau monde. Vous les voyez danser et rire, la bouteille de champagne saisie par le parquet ciré est au centre du manège. Vous poussez sur le bouton vert à votre droite, aussitôt les mêmes se produisent en hauts fonctionnaires, lors d’une Assemblée parlementaire. Ils parlent tous à la fois de dignité, de probité, d’honnêteté et d’outrage à leur personne par les basses calomnies. Dans les séances de nuit, alors que les enfants sont au lit, les mêmes montrent leur sexe et copulent, quand vous poussez sur le bouton rouge. L’illusion est telle que j’ai vu des visiteurs faire le geste de s’essuyer après une giclée de sperme subliminale.
La visite n’est pas terminée. Vous entrez dans un autre irréalisme, une autre illusion. Vous gravissez les marches d’accès de l’imposant vestibule de la maison communale de Charleroi. Le personnel passe et repasse. Par un procédé à nous seul connu, les fibres des tissus disparaissent, ne laissant apparaître sur les corps nus, que les métaux et les résines. Vous ne voyez plus que les prothèses dentaires et les révolvers et autres couteaux à cran d’arrêt des personnes approchées. Ils sont tous armés ! Moyennant un supplément vous pouvez ouvrir les coffres et remplir vos sacs des devises euros et dollars qu’ils contiennent. Vous entrez dans un jeu vidéo. En qualité de bourgmestre, d’échevins ou de receveur communal, vous aurez des obstacles à surmonter avant de vous envoler avec la caisse. Le gagnant est celui qui passera à travers le réseau de fins tireurs, qui a pour mission de garder l’or sans lequel vous loupez un voyage en Martinique. Avant cela, il vous faudra affronter les plus fines gâchettes qui défendent la sortie.
La fin de la visite s’achève sur la vision d’une classe dans laquelle des isoloirs sont posés. Des gens vont et viennent, poussent la pointe d’un crayon sur un écran qui s’allume et s’éteint puis vous rend une espèce de carte de banque que vous glissez par la fente d’un cube en bois avant de sortir. Vous suivez par laser la trace électronique de votre action. Vous assistez au rendez-vous des feux follets que font tous les lasers rassemblés. Juste avant d’arriver à une salle de réunion flanqués de gros fauteuils en cuir, les feux follets sont pris dans une tourmente magnétique et disparaissent dans un monstrueux égout sous le trottoir dans lequel des rats croupissent. Certains semblent toucher par les courants, d’autres fondent dans l’ipséité du cloaque. Enfin, certains gonflent au point d’avoir une taille d’homme. Leurs traits changent, leurs pattes deviennent des mains. Les museaux accouchent de visages. Enfin, ils sortent des tuyaux débarrassés des souillures des millions de dysenteries véhiculées. Ils pénètrent dans le salon, s’asseyent sur les gros fauteuils en cuir et soudain se transforment encore en visages connus des médias et adulés ou honnis des foules. Des gens gravissimes annoncent des résultats, citent des noms, s’extasient sur la démocratie. C’est la fête, la bouteille de champagne de tout à l’heure resurgit.
Vous passez sous la tenture, Messieurs dames, la visite du musée est terminée. N’essayez pas de boire une coupette, le champagne est virtuel comme le reste. Rien n’existe du reste, comme nous vous l’avions annoncé. Tout est faux heureusement. Le pays est beau, les gens y sont sains et les magouilleurs rarissimes. Vous retrouverez le concret à la sortie, tout en n’oubliant pas le guide, s’il vous plaît…

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