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Café philo.

Ah ! on est beaux à ces réunions philosophiques, en des cafés du commerce, pas nécessairement en face d’une gare..
A peine y est-on de dix minutes, qu’on ne sait plus de quoi on cause.
C’est d’abord une sorte d’arbitre qui, par le droit qu’il s’est conféré, ne laisse le soin à personne de commenter le thème du jour, sauf si son inventeur est un débile léger.
Après le piteux intermède, les vannes s’ouvrent aux Mississipi verbaux !
L’interrogation de l’intervenant est tellement longue, qu’à la fin, on ne sait même plus la question… La réponse est à l’avenant.
Ce n’est pas grave. On est la pour prendre un verre, pour prendre l’air.
De toute manière, personne n’écoute personne, dans l’effort de réfléchir à sa propre intervention… C’est ça. On réfléchit avant, pour ne plus réfléchir après, d’où l’amoncellement de conneries.
On voit d’ici l’agora du temps d’Aristote : les démocrates qui en viennent aux mains et dans la foule un être épris de silence qui se découvre une vocation de tyran
Au café, on se pousse du col. La prétention n’est appuyée que sur l’ego et un petit vernis de culture… La plus pressante des prétentions est pure, c’est-à-dire qu’elle n’est bâtie sur rien. C’est la meilleure. Elle résiste à tout, surtout à la vraie culture, cette abomination pour pédés… On se sert du raisonnement qui a conduit une vie à la faillite, c’est dire…
L’intelligence est insoutenable pour la bêtise. Seulement voilà, qui est « bête », qui est « intelligent » ? Vaste question dont les explications renvoient aux paragraphes précédents.
Je me trouble en écrivant ces lignes. Je suis le con de qui ?... au café du commerce de la jactance !
Lorsqu’on a bien ressassé, vaticiné, rabâché, on s’arrête pour souffler un peu. C’est le break, moments pénibles. Le ton s’élève davantage. De voisin à voisin, on ne s’entend plus !
On s’est trop contenus à patienter.
A la reprise, souvent, comme on a tout dit trois ou quatre fois, ce sont les retardataires qui viennent enfoncer les portes ouvertes, les sans-mémoire qui repassent les plats, les glorieux qui ont eu le temps d’assimiler le message des autres et les prétentieux qui distribuent les bons et les mauvais points. On gratte dans ses manuels, histoire de voir si Euclide de Mégare a dit la même chose que Porphyre de Tyr au sujet du steak que certains aiment à point, d’autres saignant. On fait gaffe de ne pas citer Saint-Augustin ou Thomas d’Aquin. Dans une coterie d’athées, sous prétexte que ceux qui croient en dieu sont des cons, il vaut mieux éviter. J’en ai fait l’expérience lors d’une citation de Bossuet. Certes, il n’est pas philosophe. C’était seulement un esprit profond.
Vient le moment où je dois lutter contre le sommeil. La quiétude de mon bureau, entouré des voix amies de mes chers auteurs, m’est un souvenir de douce consolation.
Je somnole. La chaise appuyée sur les deux pieds arrières, le meuble basculé contre le mur, réduit ma pensée à l’horizontale.
Quelque pirogue silencieuse file sur les eaux brunes d’un marigot. Sous les plantes géantes, le soleil vu de l'eau se fendille entre les feuilles. Cette eau sans nom finit de dolente manière dans le rio Xingu, sous des myriades d’insectes, entre les États du Mato Grosso et du Pará..
Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.
Des femmes nues, qu’on dirait sorties de la palette de Frida Kahlo, s’éclaboussent de leurs mains plates. Certaines ont une orchidées des altitudes froides dans les cheveux.
L’orateur se tait..
C’est un type tout en pointe, du nez à l’épigramme. Il parle d’une manière telle que la réplique est impossible. Si les mots montrent une certaine connivence avec leur auteur, ils n’en ont pour personne d’autre. Voilà pensé-je un vrai sophiste. Il n’enseigne qu’à lui-même !
Et je le remerciai de mon voyage.

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Quelle langue pratique-t-on ? Sans doute le français.
Nous sommes des apprentis comédiens au cours Simon dans une farce à l’italienne.
On attend en rongeant son frein. Quelqu'un lève un bras, comme lors d’une lutte où il est interdit de toucher le sol des deux épaules.
Lassés d’une semaine de lieux communs : - Rudolf, tu ne trouves pas que j’ai grossi ? – J’ai ouvert dans la cave pour le radon. – J’ai jeté la moitié de mes pommes de terre… ces pauvres bougres retombent dans le tour de chauffe, la soupape tressautante de pression, comme du temps des locomotives à vapeur, un peu dans l’ambiance initiale d’où ils ont voulu s’extirper.
Pour une fois qu’ils peuvent l’ouvrir, las ! d’autres veulent l’ouvrir aussi ! Lutte fratricide au son du cors de Nietzsche à Wittgenstein, les lointains et fumeux ancêtres de la pensée bredouillante et de l’esclavage des mots.
Protagoras, Euthydème, Gorgias, Ménexème, Ménon, Cratyle, je vous emmerde... Avec ce con d’Alain en prime, qui a plombé l’entre deux guerres de sa pensée et brisé des carrières d'élèves, oser écrire qu’il y eut entre Socrate et Platon une précieuse rencontre… du même souffle que Rosaline dit : Loulou, on mange des frites ce soir, c'est faire du lieux commun à joindre au florilège de Flaubert.
Le chef d’orchestre bat la mesure sur du Béla Bartók, quand l’orphéon interprète du Modeste Moussorgski. La cacophonie fait l’entente discordante.
Ce n’est qu’avec des femmes que l’on peut avoir des conversations intéressantes, sauf avec des femmes philosophes !
S’il est aussi distrayant de réduire sa vie que de la dilater, on atteint ici le fond du quantique, l’extrême ténuité, un peu comme le morfil d’une tête d’épingle… un record.
Avec Platon le raisonneur, ce devait être encore plus chiant… une sorte de sommet de la logique à disserter sur tout, autopsier le moindre geste. Le pouvoir que l’intelligence a toujours eu à faire des mouches à deux culs, bien avant les laboratoires, me sidère.
Platon, en cassant la graine, supputait la durée de mastication, de digestion, de défécation, analysait les phénomènes de déglutition, de passage, d’anéantissement des matières dans des sucs digestifs… rien que pour savoir si l’asticot précède l’étron ou si de l’étron jaillit l’asticot !
C’est à remonter dans les arbres au plus vite, tirer son coup vite fait et dire à la belle sauvage : moi tarzan, toi Jane !

Commentaires

Oufti, Richard!
T'as ouvert les vannes?
Tout va bien mieux quand on ne prend rien au sérieux!On passe sa vie à se distraire pour ne pas voir l'insupportable essentiel, disait Pascal, mais si j'en suis conscient et si j'observe avec recul ce petit monde où je patauge pourtant aussi, les choses deviennent plutôt drôles. Mieux vaut encore boire un verre et bavarder sans rien attendre. De toute façon, il vaut mieux boire et dégueuler que de ne pas boire et s'emmerder.

C'est justement ce que je me suis dit. J'ai pris mon pied. En réalité, c'est depuis toujours. N'ai-je pas éré assez léger cette fois-ci ?

C'est justement ce que je me suis dit. J'ai pris mon pied. En réalité, c'est depuis toujours. N'ai-je pas éré assez léger cette fois-ci ?

Si, si, c'était léger à souhait. Ce que je voulais dire , c'est que l'important est moins ce que l'on dit que le plaisir de le dire au milieu d'une assemblée d'amis, même de circonstance. Nous sommes des animaux sociaux qui avons besoin d'un minimum de contacts pour ne pas virer zin-zin en ruminant dans notre tanière. Et de toute façon, les paroles des autres nous sont rarement d'une quelconque utilité. Ce n'est souvent que dans les moments de grand désarroi, dans l'intimité de notre cabinet particulier, que la parole d'un philosophe, tirée d'un livre, éveille brutalement un écho dans notre esprit et nous illumine entièrement.
D'accord avec toi sur les femmes, mais pas sur les femmes-philosophes de notre café. Moi, elles m'amusent beaucoup, surtout quand elles s'indignent. Je les embrasserais quand je vois le rouge leur monter au visage!
Pour le reste, tu sais que j'adore te lire. Au début, je réagissais quand je ne partageais vraiment pas ce que tu disais. Maintenant, je m'en fous, je savoure la bravoure et l'esprit de notre vieux briscard!

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