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Un dernier espoir.

De nos jours, la mauvaise conscience se fait rare. C’est le moins qu’elle le soit, puisque son absence est essentielle pour que nous nous supportions. Il n’y a que Raskolnikov qui en a une, dont la terrible exigence le fait se dénoncer à la police pour le crime de sa logeuse.
Personne ne se reconnaît de torts. Passe encore celui qui par inadvertance commet un acte préjudiciable à autrui qui n’entraîne pas des conséquences dramatiques… péchés véniels au quotidien de l’égoïsme devenu une seconde nature dans une société dont les plus indignes sont les maîtres ; mais, les fautes les plus lourdes, qui s’en soucient parmi ceux qui les commettent journellement ? Détrousseurs de vieilles dames, assassins éventuels des coins de rue, banquiers et escrocs, les deux allant souvent de pair, politiciens parasites, etc. n’ont même pas une demi-conscience.
Les plus chargés de noirceurs ont une agilité d’esprit qui leur permet d’avoir une conscience qui ne coïncide jamais avec les actes critiquables qu’ils commettent.
Notre époque particulièrement riche en à-peu-près n’est guère propice à une vraie conscience.
Notre superficialité submerge notre sens critique, même et surtout pour les petites choses ; cependant rien n’est plus profond qu’une évidence superficielle.
L’abandon de ce qu’on appelait, avant, dans les études « faire ses humanités » en dit long sur la volonté informelle de conduire la génération qui monte à l’intelligence pratique qui construit, mais qui ne réfléchit pas à l’utilité de ses constructions, ni à la valeur exemplative de celles-ci.
Nous formons des ingénieurs en toute chose ! Nous ne formons plus des humanistes, par la peur – sans doute – outre l’efficacité économique tempérée d’une relativité philosophique, d’être jugés pour ce que nous sommes, c’est à dire, pas grand chose.
Nous ne vivons plus que dans l’attente d’un plaisir espéré, en dehors, bien entendu, de notre travail, qui dans la plupart des cas, n’a ce nom que par défaut d’un autre plus approprié.
Ainsi s’organise en compensation de la douleur d’être au travail un « art du bonheur » que nous traduisons par vacances, désoeuvrement, coucheries, dont l’économie s’est emparée aussi, de sorte que nous n’en avons plus pour longtemps à en apprécier le hors normes.
On couche à présent comme on veut depuis les messageries du NET comme on commande un voyage à Djerba, une pizza chez Salvatore, ou une Harley d’occasion à un internaute.
La technique du bonheur n’est autre chose que les conditions extérieures dans lesquelles nous réaliserons la plus grande quantité de plaisir. En l’occurrence, il n’y a plus place pour la morale. L’éthique est devenue une foutaise qu’on entend comme l’Internationale, elle fait partie du folklore.
On a oublié que dans tout plaisir partagé, il y a l’autre.

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L’amour de l’autre n’est pas une figure de style identique à l’amour de soi. L’amour de l’autre est d’un caractère bien différent, qui relève de l’immatérialité et des plaisir les plus subtils.
Hélas ! nous n’avons plus d’odorat de ce point de vue.
Il nous semble que si nous partageons notre bien être avec l’autre, cet autre éprouve la même satisfaction que la nôtre.
Nous raisonnons d’une manière assez frustre, ne sachant plus en alignant nos pauvres raisons, que plus il y en a, plus elles sont fausses.
Aux antipodes, quelques âmes consciencieuses luttent pour « évangéliser » notre barbarie. Elles ne font guère mieux que s’encombrer de problèmes qui ne sont plus les nôtres et qui ne font que multiplier leurs propres tourments.
Ces « dilueurs » de joie sont aussi fautifs que notre mauvaise conscience. Leur point commun avec nous, c’est qu’ils ne s’en rendent pas compte ! Il leur semble que l’amour de leur dieu sublime tout. Ils veulent ressusciter les temps de Pascal et de Mahomet.
La marque de toutes ces églises, de tous ces dogmes qui veulent réformer le monde en inculquant l’amour divin par la force, est aussi haïssable que l’assassin égorgeant sa victime, car la marque de la douleur est l’impuissance. Que tous les ayatollahs de Téhéran et d’ailleurs se le tiennent pour dit.
Ils font de leurs ouailles leurs premières victimes et libèrent ces malheureux de toute espèce de conscience. Ils font autant de dégâts que notre système économique.
Souffrir, dit Valéry, c’est donner à quelque chose une attention suprême.
N’y a-t-il pas pire attention que celle accordée à dieu dans certaines conditions d’oppression religieuse ?
Il n’y a pas de conscience parfaitement libre, et la mauvaise conscience encore moins, surtout dès que nos possibilités de jouissance entrent en jeu.
La douleur est en dernier ressort l’élément restant qui nous donne conscience de nos sentiments.
C’est en cela l’ultime barrière que l’homme dispose devant le travail forcé et la religion obligatoire. Cette mauvaise conscience dans ce monde matérialiste, est notre dernier espoir.

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