« Affaires classées dans bâtiments classés. | Accueil | Obama, pétroleur ! »

Lettre aux trouillards.

Depuis que la résistance aux exigences du capitalisme triomphant se limite le plus souvent aux actions en justice des travailleurs, les syndicats sont devenus les acteurs principaux de la juridiction du travail. Dans la cotisation syndicale des adhérents, les arrhes des avocats sont désormais prévus.
C’est ainsi que peu à peu s’est insinué dans nos veines le poison libéral.
Nous voilà quasiment d’accord – à la française - de l’allongement du travail pour gagner plus, le recul d’un ou deux ans de l’âge de la retraite, et enfin la notion de flexibilité dans les professions.
Il manquait à cela la flétrissure d’indignité civique. C’est fait avec la campagne contre les chômeurs qui refusent un travail ou l’illusion d’un travail. Les sanctions aggravées et les suppressions d’allocations de chômage complètent désormais cette indignité verbale par une indignité tarifée touchant le porte-monnaie.
Cependant, il serait trop facile d’accabler de tous les torts les seules organisations syndicales.
Celles-ci sont le reflet d’une conviction partagée par le plus grand nombre sur l’état de la Société. Si ce dernier est jugé satisfaisant, alors que manifestement il ne l’est pas, il est très difficile non seulement d’en faire prendre conscience aux affiliés, mais aussi de les faire descendre dans la rue pour manifester un mécontentement qu’ils ne ressentent pas vraiment.
La cause principale de cette régression du jugement provient du glissement des raisons de vivre ensemble vers l’individualisation des buts de vie.
Cette perte du sens est liée à la méconnaissance grandissante des raisons de l’effritement de la morale classique dont est né un ersatz bien adapté à l’exploitation actuelle de l’homme par l’homme.
C’est ainsi que les travailleurs acceptent dorénavant ce qui naguère était inacceptable. Pire, ils reprennent à leur compte ce qui n’était au préalable qu’une propagande des milieux libéraux pour banaliser cet inacceptable.
On parle donc de flexibilité, d’intérim prolongé, d’heures supplémentaires, de décentralisation de manière tout à fait naturelle. Tout au plus le travailleur remplace-t-il l’indignation qui n’est plus de mise, par une résignation discrète, dans la fatalité du bœuf qu’on attelle à la charrue.
Etre malmené dans la répétitivité des tâches, déplacé comme un pion sans autre explication que celle des gestes à répéter, c’est perdre son identité alors que se détricote l’esprit d’équipe et l’appui du collectif. Tandis que les propagandistes de cette déshumanisation progressive font ressortir la « chance » de celui qui travaille, par rapport à celui qui en est privé, le bénéficiaire des nouveaux « progrès » oscille entre le désir de fuite et la nécessité de payer ses traites.
Et pendant ce temps l’entreprise décervelle et rend idiot.
Quand la mer se retire, on voit sur les pieux fichés dans le sable pour le retenir, quelques algues et quelques moules qui survivent en espérant la marée montante. L’appareil syndical est un peu pareil à cette vie résistante.

102bac.JPG

Les délégués syndicaux ne sont jamais que le reflet des syndiqués.
Le syndicat est passif, parce que les syndicalistes le sont. Il suffit d’une assemblée déterminée pour faire changer d’avis ou se démettre le délégué le plus farouchement contre.
Si le syndicat se résume à quelques guichets et des employés derrière qui travaillent à peu près dans les mêmes conditions que la « clientèle », c’est parce que les affiliés ont perdu la conscience de la force qu’ils représentent, si tant est qu’ils l’aient jamais ressentie pleinement !
Le processus de dégradation des conditions de travail ne date pas d’hier. Voilà longtemps qu’il est devenu impossible d’envisager des luttes pour le principe. La plupart de celles qui auraient encore une chance de trouver des travailleurs disposés à se battre tournent autour des augmentations salariales par secteur, donc assez éloignées d’une grève générale.
A l’exception de quelques grèves spontanées et notamment celle, récente, des grévistes chauffeurs de bus dont André Antoine s’est fait l’anti-héros, il faut remonter aux années 60-61 du siècle précédent pour retrouver la flamme qui manque aujourd’hui. Et encore, l’histoire ouvrière si elle est étudiée impartialement livre un cruel constat, celui de la rareté du consensus.
S’il y a bien un sentiment universel c’est bien celui de l’égoïsme qui fait le lit de la lâcheté. Celle-ci s’appuie sur « la démocratie » et la loi du nombre pour refuser tout engagement.
C’est un peu de cette façon-là qu’ont accepté de travailler en Allemagne des millions de travailleurs européens au temps des nazis.
L’autorité établie peut aller loin dans l’exaction avant de trouver une opposition réelle en face d’elle. Dans les occasions extrêmes, la résistance est toujours celle des minorités.
Cela revient à remettre en mémoire la seule efficacité qui vaille, celle des minorités agissantes dirait Staline. Et voilà le drame, comment distinguer la bonne minorité, de la mauvaise ?
Que les pantouflards se rassurent, quelle qu’elle soit, la minorité dans le cas d’espèce reste encore à trouver.
Ah ! si la majorité des « damnés de la terre » était moins trouillarde !

Commentaires

Chaque homme est seul et tous se fichent de tous et nos douleurs sont comme une île déserte. (Albert Cohen)

Poster un commentaire