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La vie a-t-elle un sens ?

Si elle n’en a pas, lui en attribuer un est tout aussi redoutable.
Dans le premier cas, c’est un fait de nature. Dans le second, une invention humaine.
Selon Thucydide, Phrynichos était un homme intelligent. Une première démarche auprès du Lacédémonien avait été une imprudence ; on ne se confie pas ainsi à qui vous est hostile. Mais la seconde avait été une simple folie. Trahi une première fois, qu’avait besoin Phrynichos de se confier à nouveau pour les mêmes questions dont sa vie n’avait tenu qu’à un fil, au même personnage !
L’homme est ainsi fait qu’il n’a cure des expériences et qu’un homme amoureux ou cupide commettra les mêmes erreurs non seulement avec la personne qui l’a trahi, mais encore avec d’autres, et ainsi de suite jusqu’à la fin.
Que dire lorsque l’argent entre en compétition avec les sentiments. Même quand cela ne coûte rien, on hésite à la démarche. On n’est sûr de rien. Une mauvaise interprétation, une virgule mal placée et voilà la gratuité qui s’avère onéreuse !
Sans oublier l’ambition de régner sur les autres, de les représenter et d’interpréter ce qu’ils pensent ! Sinon que cette ambition valorise celui qui parvient à se rendre crédible par les deux sources qui stimulent : le paraître et l’argent.
Il y aurait beaucoup à dire sur la fuite de l’automobiliste après avoir renversé un piéton, ou déformé une carrosserie lors d’une sortie douteuse d’un parking.
Evidemment si la vie n’a aucun sens, il n’y a pas de morale.
Alors, seulement guidé par une pulsion, une fantaisie, un plaisir recherché, le pire n’a pas besoin d’être absout, puisqu’il n’y a pas faute.
Ainsi, l’homme fuit la sanction comme un tort qu’on lui fait.
L’industriel audacieux agrandit ou rétrécit son entreprise non pas dans le but de payer un personnel et entretenir d’autres familles que la sienne ; mais, dans les seules intentions de vivre plus au large, d’avoir moins de contraintes et d’accroître ses gains.
Qui pourrait l’en blâmer si l’homme pousse ainsi qu’une herbe folle entre les pavés des villes, qu’il ne poursuit aucun but précis, et que son avenir n’intéresse personne, sauf lui ?
La vérité empêche le rapport social. Vivre dans la liberté ne se peut que dans les déserts.
La vie n’a pas de sens et cependant il nous en faut chercher un si nous voulons ne pas nous entretuer.
Mais quel est le bon programme qui résoudrait à la fois la liberté individuelle et la liberté pour tous ?
Il n’y en a pas.
Diodore n’est pas le seul avec ses apories sur les bras. Et Zeller de conclure : donc rien n’est possible qui n’est ni ne sera.
Pour un peu on finirait par douter de la réalité de son existence.
Quelle serait donc la manière harmonieuse de nous entendre ?
Cela supposerait l’uniformité des mœurs et des caractères le tout chapeauté par une exigence supérieure. Alors que c’est le doute qui plane, selon Malebranche, sur toutes les spéculations.
Car, comme il n’y a pas de but, il n’y a pas de morale.
Il ne pourrait y en avoir puisque toute morale à un fil conducteur qui mène à la finalité du pourquoi ?
Et quand bien même nous en aurions une vue plus franche, tout le monde connaît l’histoire du mouton noir, ou du grain pourri dans la grappe de raisin.
Si cette société n’a pas de morale, c’est parce qu’elle n’a pas de finalité. La preuve en est que ses moutons croissent tellement qu’on ne sait plus où les mettre et que les prisons en sont pleines.
Les raisonnement les plus absurdes découlent de ce hooliganisme généralisé. Un sagouin a souiller ma façade de graffitis, pourquoi mon voisin qui a la sienne indemne ne recevrait pas une souillure qui serait mon oeuvre, de sorte que l’équilibre entre lui et moi se rétablirait ?
On voit comme l’équité attribue aveuglément les bienfaits comme les méfaits.
La vie n’aurait-elle un sens que parce qu’on trahit ?
Je me le suis souvent demandé.
Qu’il s’agisse d’un idéal, d’une femme, d’un ami, d’un intérêt inavouable, l’homme trahit, renie comme il respire.
C’est peut-être par contagion, par dénonciation pour la préservation de soi ou d’un intérêt matériel, même sans conséquence.
La rage de l’un pousse l’autre à la surenchère.

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Alcibiade trahit parce que Athènes le condamne à mort ; Phrynichos trahit parce que Alcibiade à l’intention de postuler sa mort. On use de coup de plus en plus bas, parce que la lutte est sans merci et qu’en général c’est le plus fourbe qui gagne.
Dans l’univers de la finance c’est pareil. On ne résiste à des indélicatesses financières que par de plus grandes indélicatesses. Ce n’est pas un hasard, si les choses allant, l’aventure humaine empire et les morts violentes n’apaisent pas ceux qui restent.
A l’ami qui me demandait une recette de morale collective, je répondrai qu’il n’y en a pas. Il n’y a que de misérables expériences empiriques pour des lendemains hasardeux.
A l’autre qui me demandait comment substituer un système régénéré à un système capitaliste décadent ?
Il n’y en a pas.
Nous n’obéissons qu’à une seule force qu’on ne peut éviter : l’inertie. Seuls ceux qui savent faire bouger les autres progressent. Les progrès sont aussitôt remis en question par des données imprévues, des appétits ignorés, des leviers nouveaux mis en activité par l’imagination débordante de l’intérêt personnel.
Toute l’efficacité de la nouvelle philosophie tient dans les caddies d’un supermarché. Avant, on les retrouvait partout, jusque dans les rues voisines, contre les capots des voitures. Aujourd’hui, il faut laisser un euro dans le monnayeur, si on veut abandonner le caddie n’importe où.
Merveilleuse efficacité que cette démonstration de l’intérêt palpable que l’on a ou non de faire les choses.
Heureux, lorsque l’on passe de cet exemple à celui des grandes usines où vivent mal des gens sous-payés et malheureux, qu’on n’ait pas encore trouvé une formule du genre de celle qui rassemble les caddies, adaptée à l’homme.
C’est que l’homme n’est pas un assemblage de fer sur roulette. Les patrons s’en rendent compte. Mais cela ne sert à rien ; car les buts qu’ils poursuivent, ne servent qu’eux-mêmes.

Commentaires

Quelle serait donc la manière heureuse de nous entendre ? Dorebul

« Evidemment si la vie n’a aucun sens, il n’y a pas de morale. »
Joli problème philosophique…

1/ La vie vaut-elle la peine d’être vécue si elle est absurde, si elle n’a pas de sens ? Si la réponse est non, je me suicide, fin de la question. Puisque je ne me suicide pas, c’est que vivre est encore pour moi préférable à mourir, même si la vie n’a pas de sens connu pour moi. Je peux donc parfaitement continuer à vivre sans sens (ou plus exactement sans que je le connaisse ou sans que j’en ai conçu un), par trouille de mourir, par habitude, par instinct biologique, parce que je trouve beaucoup de plaisirs dans la vie (je suis jeune et beau, les filles me regardent d’un œil lubrique, je suis plein de pognon,…rêve pas, Michel !), parce que je suis con (je ne veux pas mourir sans avoir vu l’équipe du Standard béatifiée) etc…Une morale peut-elle exister dans un tel cas ? Je ne pense pas et je te rejoins, Richard III.

2/ Est-ce à dire pour autant que la vie ne peut pas avoir de « sens » ? On pourrait conventionnellement définir le « sens » comme un rail qui nous mène dans une direction donnée en supposant en outre que notre place sur ce rail soit nécessaire à la réalisation d’un projet, d’un dessein…Si un tel sens existe, pouvons-nous le connaître ? La partie peut-elle connaître le tout ? Ou comme le disent les bouddhistes, l’œil peut-il se voir lui-même, le sabre peut-il se couper lui-même ? J’ajouterais que si un tel sens était évident, il y a probablement belle lurette que nous l’aurions perçu. J’en déduis qu’un « sens » peut parfaitement exister à la vie mais que s’il existait, je ne pourrais pas le connaître.

3/ A défaut de sens existant ou de sens connu, rien ne m’empêche de m’en inventer un :
- je puis imaginer des arrière-monde divins et en leur prêtant des injonctions morales ; mais ce n’est là qu’un subterfuge, c’est se mentir à soi-même. Néanmoins, pour des « ignorants », comme les appellent Spinoza et Bergson, la religion peut présenter un certain intérêt en fixant d’autorité un certain nombre de balises morales pour préserver une possibilité de vie en société ;
- je peux décider de me dresser fièrement tout seul sur mes pattes de derrière et affronter crânement le destin, me révolter devant l’injustice (voir Camus), rouler ma pierre sans espoir comme Sysiphe tout en sifflant au passage les petites jeunesses qu’il croise. Je ne comprends pas grand-chose au monde qui m’entoure, ma raison et mes sens ne me sont que d’une utilité toute relative, mais je n’ai qu’eux, alors je fais avec, et je me forge une éthique de toutes pièces (je préfère le mot « éthique » à « morale »,trop connoté, dans ce cas). Variante bouddhiste : je sais que mon prétendu « moi » est une chose volatile et impermanente, que je vis dans le monde de l’illusion, mais je me forge une piste de vie (le noble sentier octuple) pour vivre aussi heureux que possible dans un monde où celles et ceux qui m’entourent vivent également aussi heureux que possible. Je choisis cette façon de vivre et sa variante.

PS. J’ai adoré le poème sur Socrate et Alcibiade )

Comme dirait un peintre du mouvement Andy Warhol :"moins on a de sentiments, plus on est heureux" (dixit la peinture des années 6O).
Les balises morales de la religion sont peut-être une balise efficace pour les catholiques, je ne crois pas qu'ils sont plus heureux pour la cause. Je préfère le boudhisme.Le tai chi chuan ne rend pas plus heureux, seulement plus souple. Alors, faisons du sport, nous serons heureux. ALALA....
dorebul

En vous lisant, je pense à ces paroles de Boris Vian. «.... c'est déguelasse, mais ça fait passer l'temps. La vie est-elle tellement marrante?
La vie est-elle tellement vivante? ...  La vie vaut-elle d'être vécue? L'amour vaut-il qu'on soit cocu ? Je pose ces deux questions
auxquelles personne ne répond .... ...pour ne plus voir ma gueule, pour pas me dire qu'il faudrait en finir ».
Elle ne semble pas tellement coller à votre humeur, puisque, vous, vous avez le courage (le but) de vivre par l'écriture
notamment d'une longue page sur votre Blog, tous les jours.
Mais je la réécoute avec plaisir sur mon vieux 33 tours de 1955. Si vous voulez, j'essaie de vous la donner par le lien suivant.
Ca marche en faisant un copier/coller sur la barre du navigateur Internet.
http://fr.youtube.com/watch?v=5qXkV1e6yZY&feature=related
RicheRiche 1er

D'accord, Riche Riche premier, mais que réponds-tu, toi, aux deux questions de Boris Vian? Si la vie ne vaut pas d'être vécue, tu te suicides; puisque tu ne te suicides pas, c'est qu'elle vaut la peine. Lui donnes-tu un sens dans ce cas? Et si oui, lequel? On en revient donc au problème philosophique de Richard et à mon commentaire :))

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