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Une Femme d’un autre siècle.

On n’apparaît souvent aux autres que par un côté saillant, une circonstance de sa vie, un engagement. C’était un secret qui ne le sera plus lorsqu’il sera à portée de tout le monde de le découvrir : j’ai commencé ma vie de lecteur par un véritable engouement pour les livres de… la comtesse de Ségur. J’avais alors entre dix et douze ans.
Ceci n’est pas un grand scoop et cela n’engage que moi.
Encore aujourd’hui il m’arrive de penser à la Comtesse, et ce bien avant qu’elle ait atteint l’âge respectable, pour l’époque, de cinquante huit ans, quand il lui prit la fantaisie d’écrire pour le plaisir de ses petites filles et le mien, l’œuvre que l’on sait.
Sophaletta, c’est ainsi qu’on appelait Sophie Rostopchine, avait la santé d’une paysanne russe. Elle était le bouffon de la famille en mimant les historiettes qu’elle inventait…
Les laquais de Voronovo comparaient la limpidité de son rire à celle des clochettes de Valdaï qui, en Russie accompagnent les courses des troïkas dans la neige.
Stop !... C’était dans un milieu à l’abri de la disette, et les laquais ne comparaient vraisemblablement le rire de l’enfant aux clochettes des troïkas, que dans la mesure où il ne faisait pas bon de dire le contraire.
Cependant, si être né dans la soie dispense de penser aux autres, l’œuvre future de la comtesse de Ségur qui allait naître de la petite Sophie Rostopchine peut se regarder comme une douce histoire de rapports non conflictuels entre les maîtres et les valets, entre les gens de pouvoir et les paysans de la France de 1850, encore tellement rurale que les villes, hormis celles de Paris, étaient au milieu de la campagne. La banlieue n’existait pas.

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Mises à part les grandes détresses, qui laissent la victime sur le pavé dans les conflits de personnes pour le pouvoir et l’argent, les heurts du XIXme siècle n’ont jamais eu l’âpreté qui caractérise ceux d’aujourd’hui, sauf dans le dernier tiers du siècle de la Comtesse, coïncidant justement avec les débuts anarchiques de l’ère industrielle, la prolifération des banques et des entreprises de crédit, dont le krach récent est la dernière manifestation.
J’entends bien que l’époque était d’une grande misère ; mais les rapports entre les gens n’avaient pas l’indécence qu’ils ont pris depuis que la lutte vitale pour la survie est passée de la lutte pour le confort, ce qui est encore légitime, puis pour le superflu, ce qui l’est moins, laissant tomber au passage les notions de justice et de fraternité entre les hommes.
Sophie a écrit la plupart de ses contes au château des Nouettes, près de L'Aigle dans l’Orne, à l’orée du bocage de la vallée de la Risle, dans un monde paysan suffisamment prospère pour que chacun vive à sa place et trouve l’environnement à son gré et le travail à sa main.
Sous certains aspects, il y a plus qu’une rupture avec les modèles de la littérature enfantine de l’époque qu’il n’y paraît. C’est l’histoire du monde paysan qui s’achève.
Sophie était une personne lettrée, parlant plusieurs langues et comme presque toutes les femmes d’alors souffrait de la condition féminine sans encore oser se l’avouer. Elle est la contemporaine de Harriet Beecher Stowe. Et elle a certainement lu « Uncle Tom's Cabin » (la case de l’oncle Tom) dans sa version originale. Les personnages principaux, tous Noirs, de Miss Beecher Stowe fuient un monde qui leur est hostile. Après une transhumance qui les emporte jusqu’au Canada, ils retournent en Afrique pour vivre avec les autres Noirs.
Dans les livres de la Comtesse, on sent une grande humanité pour les fermiers, les paysans en général et tout le petit monde des champs qu’elle rencontrait tous les jours. Elle a sans doute fait des comparaisons entre les conditions de vie des paysans de l’Aigle et les Noirs des plantations, tout en évoquant la question de l’émigration forcée ou volontaire aux Amériques, elle qui était née Russe, d’origine Mongole.
Le vouvoiement des parents, le rôle des domestiques, et les traitements médicaux tels que l’usage de sangsues, des saignées, des cataplasmes « saupoudrés de camphre » nous plonge dans un monde disparu qui n’était pas sans charme, ni art de vivre.
Le respect dû aux aînés, la politesse des rapports entre fermiers, et cette espèce de bonhomie et de loyauté qui régnait dans les problèmes de fermage, les dépôts chez les notaires et les spéculation sur le prix du foin, pourraient passer pour une sorte d’angélisme d’un système qui n’était pas encore obnubilé par le capitalisme, malgré les descriptions peu flatteuses que firent Balzac et Flaubert de la bourgeoisie de province.
Mais c’était celui de la Comtesse qui en témoigne. Quant à l’éducation, ce qu’il en reste se trouve dans les cours de psychologie à l’usage des parents et des enseignants pour dénoncer les célèbres fessées de Madame Mac Miche à son turbulent neveu, Charles. Cependant que l’on redécouvre timidement sans l’oser pouvoir dire la valeur éducative de ce genre d’éducation.
Faut-il rappeler que la Comtesse n’était pas née bourgeoise, mais noble. Elle était surtout née FEMME, ce qui, par rapport au Comte, son viveur et scandaleux époux qui réussit le tour de force de lui faire sept enfants tout en n’étant pratiquement jamais là, fait toute la différence.
Aussi, pourrait-on conclure que la situation générale un siècle plus tard, aurait pu être meilleure grâce à l’émancipation des femmes, si la question de l’argent et des pouvoirs qu’il génère n’avait pas tout gâché !

Commentaires

Mais ma parole, seriez-vous en train de rêver aux fessées reçues étant enfant ?

Jean-Jacques Rousseau dans ses confessions en garde un souvenir ému.
Quant à la Comtesse, elle a le même profil que "Rosa la Rouge" peinte par Toulouse-Lautrec, ma foi, une fessée de cette femme-là en eût contenté plus d'un.
Merci de vous intéresser à ma libido.

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