« La tanière du blaireau | Accueil | L’esprit missionnaire. »

Le fils de Léon.

Nos médias sollicitent souvent nos grands stratèges en économie politique afin de nous donner la leçon sur les échanges commerciaux et les moyens de s’enrichir. Afin de justifier les positions dominantes et les salaires, nos diserts diplômés sont passés des explications « classiques » aux explications « néoclassiques », par un long glissement sémantique.
Pour dorer la pilule de la crise, le moment n’est plus à la rigolade.
Un moment surpris par la démonstration marxiste de la théorie de la valeur qui montre du doigt la plus-value hors de proportion prélevée sur les travailleurs, les néoclassiques se sont rabattus sur un économiste appelé par Joseph Schumpeter « le plus grand de tous les économistes : Léon Walras (1834-1910).
La théorie ne date pas d’hier et pourtant elle est à la mode.
Léon décrit l’équilibre parfait de concurrence et démontre qu’il doit être optimal. L’équilibre parfait permettrait le plein emploi de tous les facteurs de production : toute la population active serait occupée et tous les capitaux utilisés. Il permettrait de satisfaire toutes les demandes solvables. C’est ainsi qu’il est, Léon !
Même critiquée par Keynes, cette vision idyllique revient en puissance et ravive la folle passion des politiques et des économistes d’aujourd’hui pour un capitalisme qui, dans le fond, ne vaut plus rien, mais dans lequel ils fondent encore les plus grands espoirs.
Pour cela, les économistes partent non plus de l’offre, mais de la demande. Walras en son temps en avait mesuré les paramètres par des formules mathématiques dont la NASA elle-même aurait de la peine à saisir la pertinence.
Cela n’a l’air de rien, mais c’est ce qui bouleverse tout aujourd’hui.
Il convient de se plier à la demande, un point c’est tout, de s’adapter ou de disparaître.
Un exemple : le lait chinois doit s’adapter au goût des consommateurs. L’industrie se plie à l’exigence. Résultat des centaines de bébés malades ou morts !
On pourrait citer des milliers d’adaptations de cet ordre, inutiles, grandes consommatrices d’énergie, voire dangereuses pour la santé. Nul besoin d’entrer dans le domaine pharmaceutique où les pilules amincissantes ont assez fait de tort, pour en rajouter.
Selon les mêmes, les inégalités salariales proviennent toujours des préférences individuelles des travailleurs. Comme si travailler 10 heures par jour dans des métiers malodorants et avec de l’huile de machine jusqu’aux coudes était voulu par un travailleur, rationnel dans ses choix et ses préférences ! C’est pourquoi Marx avait justement conclu que puisque ces métiers pénibles et dangereux sont nécessaires au bien-être de la collectivité, ils doivent être hautement rémunérés. Dans l’économie capitaliste, c’est l’inverse, évidemment.

luce1.JPG

Petits rigolos ou grand cyniques ?
Toujours d’après les éternels invités de nos chaînes télévisuelles, laisser subsister les inégalités est un témoin efficace du bon fonctionnement du système des prix.
Ils établissent ainsi un lien entre inégalité et efficacité, justifiant par là une justice sociale impossible dans une économie qui progresse par la force des différences.
Oui-da beau sire !
Et quand ça coince et qu’on ne progresse plus ? Quand on vous pousse à travailler plus pour se retrouver gros jean à gagner moins ? Où est l’ascenseur « musclé » par les différences ?
Qu’est-ce qui justifie encore la théorie du plus grand des économistes ?
Hein ! Léon, où tu nous emmènes ?
Mieux : qu’est-ce qui permet de prélever des milliards issus du travail des gens, afin de boucher les trous des banques malades ? Comment se fait-il que les banquiers qui poursuivaient un métier qui avait leur préférence individuelle se voient épargnés, alors que d’autres ne le sont pas ?
Je suis resté longtemps sans réponse, si l’on veut comprendre autre chose que la pétoche de nos dirigeants à voir dans la rue des dizaines de milliers d’employés de banque et faire abstraction du long lamento de leur violoncelle…
Cependant une question subsiste, ces dizaines de milliers d’employés de banque en quoi sont-ils utiles aux progrès humains ? Et à cette aune là, n’a-t-on pas artificiellement gonflé la fonction intellectuelle par rapport à la fonction « physique ou technique » dans la perspective d’une bureaucratisation générale, quand les robots feront tout ? Ou encore, n’a-t-on pas trouvé le seul expédient justifiant les métiers intellectuels afin de maintenir un travail aliénant pour tous - la plupart des diplômes ne servant strictement à rien - étant entendu qu’un oisif est un danger potentiel, en dehors de l’oisif riche, bien entendu ?
Peut-être que cette hallucinante perte de sens des économistes et des médias qui les utilisent provient-elle d’une psychose hors des réalités, d’une forme de passion névrotique pour ce dont on a cru et qui, tournant court, laisse hébétés les intellectuels qui ne peuvent plus assumer la suite logique ?
Tout tient dans les fibres intimes qui relient l’establishment au capitalisme.
C’est comme un fils unique qui serait devenu vaurien. On se lamente, mais on le chérit. Dame, on n’a que celui-là. Alors, on l’accompagne dans sa descente aux enfers. Les parents iraient jusqu’à lui apporter des oranges au parloir de la prison.
L’indulgence des « scientifiques » les pousse à pardonner à l’avance des crimes qu’il n’a pas encore commis. Pourtant, ils ont en horreur ce qu’ils qualifient de forfait. Mais, ils n’osent glisser par sémantique de la théorie générale au cas particulier de ce fils chéri. Les mots n’ont plus le sens qu’ils leur donnaient avant le clash ! Les forfaits du fils chéri seraient-ils les mêmes que ceux de Leonid Brejnev ?
Quelle horreur ce serait !
Ce fils prodigue – à force de rougir à ses exploits - est notre chemin de croix, notre punition. Plus il est odieux, plus il nous fait souffrir, plus les économistes et finalement nous-mêmes l’aimons, de cet amour irrationnel et bête que peuvent avoir parfois les saints, les mères et les putes pour un monstre !
Et si les chaînes de télé et les journaux se décidaient – discrètement - à inviter d’autres économistes, d’autres politologues, d’autres sociologues moins sottement enthousiastes ?
Si enfin, on osait un peu de désamour ?

Commentaires

Sacré caractère ce duc!

Poster un commentaire