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La trahison.

On aurait pu en faire un film, le script est tombé dans les poubelles de l’Histoire…
En 1931, Déat (1) publie « Perspectives socialistes », un ouvrage théorique de réflexion sur la doctrine socialiste. Selon lui, il faut s’adapter à l’évolution de la société capitaliste qui ne paraît pas s’autodétruire, contrairement à l'affirmation marxiste. L’État doit avoir un rôle privilégié dans la gestion de la propriété qui doit être individuelle. Il est contre la collectivisation, contre la révolution, car le chaos est le credo des fascistes. Il s’oppose farouchement aux marxistes, mais se rapproche des planistes (2). Déat pense qu’il faut passer par un régime intermédiaire, et non pas attendre le vide politique pour que le socialisme s'installe.
Nous sommes dans l’entre deux guerres. Sans beaucoup se préoccuper de l’opinion des militants, les penseurs du socialisme pour durer, quand le pouvoir économique est franchement libéral, il n’y a pas d’autre solution que collaborer… plutôt si, il y en avait une autre, celle de s’opposer au capitalisme, ce qui était encore la volonté des militants. Pour cela il fallait du caractère. Or le sacrifice dans une société gourmande de progrès et de confort était déjà très difficile. Les dirigeants de gauche qui se frottèrent au pouvoir, qui vivaient dans des sphères qui n’étaient pas celles de leurs origines paysanne ou ouvrière, ne l’ont pas pu. Nous sommes en 1931, ne l’oublions pas.
Au fur et à mesure que le temps passe, la résistance à l’aisance et au statut social élevé s’estompe jusqu’à s’effacer dans le consumérisme d’aujourd’hui.
Emmanuel Berl a écrit « la fin de la IIIme République » (épuisé en librairie), un livre admirablement documenté et travaillé – ce qui ne gâte rien – mêlant style et précision.
Les socialistes avaient le choix de résister – ils le firent pendant une courte période avec Léon Blum et les réformes de 36 – ou de collaborer avec les industriels. La vérité oblige à dire que le gouvernement Blum ne fut pas à la hauteur de ce que la classe ouvrière attendait, même s’il obtint la fameuse semaine de congé et des réductions horaires. Il déçut surtout quand, face à la pression de la droite, il renonça à intervenir militairement en Espagne alors que Franco marchait sur Madrid et que Goering mettait l’aviation du Reich au service du franquisme.
Face à la montée en puissance de l’Allemagne, les socialistes se résignèrent à s’entendre avec la droite, puis, pour certains, avec l’Occupant allemand, quand plus tard, après la déroute, Pétain fit de Vichy, une capitale provisoire.
Il y eut des résistants socialistes, des députés qui refusèrent les pleins pouvoirs à Pétain, d’autres qui s’enfuirent en Afrique du Nord et en Angleterre pour continuer le combat, mais un certain nombre d’entre eux crurent à la victoire allemande et devinrent des personnages du Régime de Vichy.
L’alternative de passer dans la clandestinité ou de conserver auprès du maréchal une certaine position sociale fut certainement responsable de nuits blanches à partir de juillet 40 parmi « l’élite » du socialisme mondain.
Le parlementaire français Henri Queuille, d’abord radical socialiste, puis centre républicain fit partie des parlementaires français qui tinrent tête au régime de Vichy. Certains de ses aphorismes sont restés célèbres et conviendraient bien au président du PS belge, Elio Di Rupo :
« Il n'est aucun problème assez urgent en politique qu'une absence de décision ne puisse résoudre. » « La politique n'est pas l'art de résoudre les problèmes, mais de faire taire ceux qui les posent. » « Les promesses n'engagent que ceux qui les écoutent. »
La suite de l’Histoire, tout le monde la connaît.
Certains socialistes furent fusillés en 46 après s’être enfui à Sigmaringen avec le maréchal et son gouvernement, d’autres étaient retournés à « la raison » en rejoignant la résistance en 43 ou 44, enfin une troisième catégorie ne fit rien, s’enterrant quelque part en 45, pour revenir triompher dans la haute administration quand la saison n’était plus au règlement de compte.
La Belgique connut les mêmes avatars et le même délitement du parti ouvrier, qui eut aussi, comme en France, sa part de résistants et de collaborateurs.

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L’Histoire nous enseigne qu’un mouvement de gauche ne peut pas conserver longtemps ses mandataires statutairement payés pour les fonctions qu’ils exercent, sans qu’ils ne se corrompent au contact de la droite et de l’argent.
La deuxième guerre mondiale a servi de loupe grossissante à ce conflit entre la conviction et l’argent. Les socialistes au pouvoir aujourd’hui portent en eux cette contradiction.
Que pensez-vous que les socialistes au gouvernement feraient si la pauvreté s’accroissait au point de voir des émeutes de la faim éclater dans les rues ?
Ils feraient tirer sur la foule sans hésiter, en cela d’accord avec les libéraux, les écolos et le CDh.
Parce qu’ils ne font plus partie de la classe des gens qu’ils défendent. Parce qu’ils n’hésiteraient pas une seconde à sauvegarder leur statut et leur élévation sociale.
C’est ce que le socialisme de l’entre-deux guerres et la collaboration de 40-45 nous ont enseigné, et que, pour ma part, j’ai retenu.
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1. Marcel Déat, journaliste, député SFIO. En 1933, il est exclu du parti pour ses doctrines de plus en plus autoritaristes, et devient le chef de file des néo-socialistes, séduits de plus en plus par les modèles fascistes.
2. Le planisme est une théorie économique des années 1930. Il considérait qu'un plan (planification) pouvait modifier la société en profondeur, ou du moins contrer les effets pervers du marché.
Ce courant influença les milieux socialio-syndicalistes. En Belgique, son théoricien fut Henri De Man. Il inspira aussi bien la S.F.I.O que les pétainistes, les communistes comme les sociaux-démocrates les fascistes et les démocrates-chrétiens.

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