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L’imposture de l’université.

Les profs n’en peuvent rien. C’est une fatalité qui leur échappe. Malgré eux, les programmes travaillent à reproduire les inégalités sociales. C’est un fait que Pierre Bourdieu n’a cessé de définir et de définir encore dans une grande partie de son œuvre et dont on trouvera l’essentiel dans « La Distinction », critique sociale du jugement, paru aux Editions de Minuit.
Est-ce encore le moment de débattre d’un fait incontesté et largement prouvé, même par les détracteurs du sociologue ? L’enseignement joue un rôle primordial dans la reproduction sociale au sein des Sociétés libérales telles que la nôtre.
Nos profs, malgré eux et à leur corps défendant, oxygènent chaque année par les nouveaux diplômés et les nouveaux recalés, l’ordre social en conduisant les enfants de la classe dominante à obtenir les meilleurs diplômes leur permettant d’occuper à leur tour demain, les postions sociales dominantes laissées vacantes, par droit légitime de succession.
C’est tellement flagrant que pour masquer « le désordre » de l’injustice, des cours supplémentaires et des séances « d’adaptation » à la norme sociale voient le jour dans certains quartiers défavorisés sur des initiatives locales. Evidemment, c’est un fiasco quasi total, si même on cite quelques brillantes réussites.
L’exemple le plus évident me vient à l’esprit : admettons que dans une classe de piano, deux élèves aient l’instrument chez eux, avec des parents musiciens possédant une culture musicale adaptée, et que les trois autres n’aient pas chez eux d’instrument à portée de mains, qu’ils n’en puissent disposer qu’en classe. Il n’est même pas besoin de spéculer sur ceux qui réussiront.
Ainsi, les profs – et comment pourraient-ils faire autrement – légitiment le classement scolaire des élèves, citoyens de demain, en masquant son origine sociale et en faisant, au contraire, comme si ce classement était vraiment adéquat pour classer les élèves selon des niveaux d’intelligence et de dons.
Pour le fils de l’industriel ou du ministre, s’il a des dons, il réussira. N’en aurait-il pas, il réussira quand même (1). A l’inverse, l’enfant d’un milieu défavorisé qu’il ait ou n’ait pas de dons, il ne réussira pas. C’est la raison pour laquelle, on monte en tête d’épingle des gens comme Di Rupo, fils de mineur italien qui fait de brillantes études. C’est l’exception qui confirme la règle.
C’est une des particularités du système de masquer son échec en faisant un rideau des réussites.
Pour Di Rupo les conséquences sont terribles, puisque notre bon élève devenu adulte est intégré dans la société qu’il défendra comme un monolithe de la cohorte des malheureux. Il ne comprendra plus les terribles injustices dont les gens souffrent. Il aura changé de catégorie.
Il sera l’exemple de la réussite même de celui qui, partant de bas, arrive haut. Ainsi, pour ceux qui partent bas et y restent, la faute n’en incombe pas au système, mais à eux, puisqu’ils n’ont pas de dons (souvent sous-entendu parce qu’ils sont bêtes) !

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Le système scolaire exerce un pouvoir de violence que Bourdieu décrit comme symbolique qui contribue à légitimer un rapport de forces à l’origine des classes sociales, qu’on baptise aujourd’hui pudiquement de hiérarchies, le mot « classes » faisant peur aux sociaux-démocrates.
Et ils ont tort d’être honteux du terme, quand on voit que les dirigeants pratiquent plus que jamais cette lutte de classe qui tourne à leur avantage. Dans le rapport capital/travail, on observe une part plus importante des revenus allant au capital au détriment du travail. Et cela ne s’appellerait pas la lutte des classes ?
En maquillant par toutes sortes de stratagèmes le fait que les membres de la classe dominante réussissent mieux à l’école en raison de la parenté étroite de leur culture et celle du système éducatif, l’école rend possible la légitimation de la reproduction sociale.
Ainsi l’école est considérée comme neutre et la manière d’instruire les élèves avec les éléments de la société dont elle dispose donne l’image d’un apprentissage indépendant, de sorte qu’elle n’est pas perçue comme l’instrument de l’arbitraire, ce qui rend ses classements légitimes.
Cela a pour conséquence de considérer la réussite et l’échec scolaire comme étant le propre de chaque individu.
L’échec scolaire sera donc perçu de la manière voulue par la classe dominante, c’est-à-dire comme un échec personnel, renvoyant l’élève à ses insuffisances et à son manque de dons.
Le diplôme est un véritable droit d’entrée dans la vie et dans le travail.
Les rattrapages si chers à l’ONEm et au FOREM, si chers aussi à la politique de Joëlle Milquet sont les trompe-l’œil d’une organisation sournoise des individus culpabilisés, rendus « imbéciles » par des filières et des circuits de rattrapage tous plus pervers les uns que les autres et destinés à faire comprendre définitivement qu’on n’est pas intelligent et que par conséquent, on n’a qu’à obéir et se contenter de ce qu’on veut bien « vous donner » !
Evidemment ce système fabrique ainsi des frustrés, des incompris et des révoltés. Quand on considère le nombre de pensionnaires dans les prisons, il est aisé de deviner qu’au moins un quart de la délinquance vient de l’injustice de départ, l’injustice à l’école !
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1. Il existe des écoles privées pour les fils à papa qui n’ont qu’une petite cervelle. C’est très cher, mais on en sort avec un master équivalent à un diplôme universitaire. Dans ce genre d’école, il n’y a pas d’échec !

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