« Des prisons à gogo. | Accueil | Quand le chômeur devient délinquant. »

La présomption… de culpabilité !

La cour de cassation a rejeté le pourvoi du bourgmestre de Dinant Richard Fournaux dans l'affaire du casino de Dinant. Voilà onze ans que les choses traînent, en cause le système belge qui protège les parlementaires en délicatesse avec la loi.
Un petit peu d’histoire :
Depuis la révolution française, le principe de séparation des pouvoirs a conduit à reconnaître la primauté du pouvoir législatif sur tout autre en raison du principe de la légitimité de la représentation. Aujourd'hui, l'on constate cependant une crise du régime parlementaire provoquée ou compensée par un recours accru aux juridictions. Ainsi, la société se « juridicise » ; nombre de conflits sociaux échappent à l'emprise du parlement pour être tranchés par un juge. Si d'aucuns crient au gouvernement des juges, d'autres, par contre, louent cette importance accrue du droit. Il n'en demeure pas moins que l'intervention croissante du judiciaire dans les domaines en principe réservés au politique pose des problèmes de légitimité.
Dans l’esprit du législateur initial, il s’agissait de protéger le parlementaire contre toute atteinte à son action politique. On ne pouvait l’inculper pour ses prises de parole en opposition au gouvernement en place, et cette immunité était en quelque sorte son viatique le mettant à l’abri d’une campagne calomnieuse ou de tout autre atteinte à son mandat.
Dans sa naïveté originelle, le législateur ne soulevait pas la question de la responsabilité civile pour des crimes ou des délits commis par ceux qui bénéficient de cette immunité, supposant que l’élu de la Nation ne saurait être un délinquant ! Nonobstant cette présomption d’honnêteté, le législateur excluait le flagrant délit, puis cela n’étant pas suffisant, il imagina une procédure pour la levée de l’immunité d’un accusé parlementaire par une procédure devant ses pairs.
Les rapports entre le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire étant des plus ambigus, il est courant de voir de nos jours des parlementaires usés jusqu’au bout de la procédure d’usage au parlement afin d’éloigner, de suspendre ou d’interdire la levée de l’immunité parlementaire par ses pairs, soit par des pressions de parti, soit par des manœuvres destinées à influencer une majorité, soit encore par des arguments probant de son honnêteté.
Evidemment le concept de la séparation des pouvoirs est assez flou. Certains voudraient que les pouvoirs exécutif et judiciaire se retrouvent subordonnés au pouvoir législatif, puisque, par définition, le fait d'exécuter et d'assurer le respect des lois ne se conçoivent pas sans l'intervention préalable du pouvoir législatif, d’autres souhaiteraient qu’un délit soit sanctionné de quelque importance que soit la position de l’auteur du délit. Ce qui paraît à première vue logique, mais ce qui met le parlementaire poursuivi en porte-à-faux vis-à-vis de ses électeurs pendant le temps de l’enquête. La présomption d’innocence n’est pas respectée neuf fois sur dix et le préjudice est certain. (le cas de Julien Dray en France, innocenté après la procédure d’enquête.).

25ab copie.jpg

D’autres évoquent une distribution des pouvoirs, que l'on retrouve dans les ouvrages de Locke et Montesquieu, en vertu de laquelle les trois fonctions de la puissance publique (législative, exécutive et judiciaire) sont partagées selon des modalités variables entre plusieurs autorités concurrentes. Il en résulte d'une part qu'un même organe peut exercer deux, voire trois de ces fonctions essentielles de l'Etat, le souci principal étant avant tout d'éviter qu'une seule autorité ne détienne l'ensemble des fonctions de l'Etat. D'autre part, le principe de « trias politica » est formulé en termes d'« équilibre » des pouvoirs impliquant le contrôle de l'un par l'autre. Montesquieu écrivait en ce sens que « pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ». Une des caractéristiques marquantes de cette idée de contrôle est sans aucun doute l'existence d'un pouvoir judiciaire indépendant, garant des libertés individuelles et censeur juridique des deux autres pouvoirs.
Le modèle belge semble obéir au principe de séparation-spécialisation des pouvoirs, en ce qu'il répartit les fonctions étatiques traditionnelles entre différents organes indépendants qui exercent en principe lesdites fonctions à l'exclusion l'une de l'autre. C’est évidemment un régal pour les procéduriers qui voient la loi leur fournir un arsenal de recours pour éviter une levée de leur immunité, à partir du moment où un des pouvoirs réclame une tête dépendant d’un autre.
La tendance actuelle du pouvoir judiciaire, c’est d’affirmer de plus en plus son rôle de contrôle des pouvoirs en mettant en cause la responsabilité de l'Etat législateur devenu « simple » justiciable.
Fournaux est-il impliqué dans l’éviction de la famille Mantia de la gestion du casino de Dinant et a-t-il favorisé cette éviction par des faux à la vente du casino de Dinant, en 1999 ?
C’est au tribunal d’en décider.
A la lumière de ce qui précède, les parlementaires ont intérêt à ne pas faire obstruction à l’instruction judiciaire en excipant de leur immunité parlementaire. La présomption d’innocence, lorsqu’elle n’est pas rapidement corroborée par un jugement du tribunal finit par devenir ce que j’appellerai « un nouveau délit pour l’opinion publique : la présomption d’innocence ! ».
Certains estiment déjà que la ville de Dinant devrait se porter partie civile contre X dans le dossier, afin de protéger ses intérêts. Un conseiller communal PS souhaiterait que Fournaux abandonne son maïorat pendant le procès.
Personnellement, je n’ai pas beaucoup d’estime pour l’homme politique, bourgmestre de Dinant. Je regrette néanmoins que l’opinion le voit coupable avant le prononcé du jugement !
Reste qu’il faudrait revoir les conditions de l’immunité parlementaire en revenant aux sources de cette protection qui fait du mandataire public un homme pas comme les autres.

Poster un commentaire